Comment définir une température avec des termes musicaux ? Comment expliquer avec une partition instrumentale la sensation voulue et que l’auditeur est censé ressentir durant son écoute ? Bien entendu avec une sonorité spéciale, découlant des effets et de l’accordage des artistes, nous pouvons ressentir moultes émotions et sentiments. Mais s’il y en a bien un qui est difficile à exprimer, c’est celui de la température ambiante, rentrant en première ligne de mire dans les conditions d’écoutes et pouvant amener à l’appréciation ou non d’un album. Sans tergiverser sur comment exprimer musicalement la sensation du froid, allons directement du côté de son total opposé avec le dernier album du quatuor Floridien Torche, répondant au nom d’Admission et rentrant parfaitement dans l’optique d’exprimer cette sensation de moiteur ambiante quand le thermostat dépasse les 30 degrés.
Torche n’en est pas à son premier coup d’essai en terme de musique caniculaire. Depuis leur premier album sobrement baptisé Torche, sorti en 2005, nous pouvions déjà assister à une tentative réussie de musique lourde et explosive mise en scène par la pochette, illustrant à la perfection la musique du groupe. Un volcan en éruption, crachant sa lave et transformant les lieux en fournaise, toutefois situé dans un univers psychédélique fleuri et embaumé de couleurs flashy. De quoi nous allécher si nous tombions dessus dans un bac de disques au travers de nos achats, la recette de l’album étant écrite sur la couverture. Torche s’inscrit dans cette longue lignée de groupes de stoner abrasifs, dignes héritiers des compères de Kyuss et de tout ce qui découla des Desert Sessions du Rancho de la Luna. Leur musique exprime avec excellence le climat aride qu’il règne dans la petite ville de Palm Desert.
A cela Torche ne cache pas ses inspirations, mais apporte une note plus aérienne, et éthérée, avec la voix remplie d’effets de Steve Brooks et que, bien n’apportant qu’une légère brise, reste bénéfique dans l’écoute de leur discographie, véritable personnalisation de la canicule estivale.
Et cela dure maintenant depuis plus de 14 ans. Torche monte les échelons progressivement, avec une signature dans la grosse écurie Relapse Records en 2014 qui mena à une production plus accessible pour leur musique. La sortie en 2015 de Restarter aux sonorités beaucoup plus sludge les a amené à une reconnaissance musicale amplement méritée. C’est après des tournées d’ouvertures pour de grandes pompes de la musique moderne, comme Red Fang, Kvelertak ou Gojira que nous parvient en plein mois de juillet Admission, un album aux relents beaucoup plus shoegaze qu’auparavant.
Comme le veut la tradition avec tous leurs albums, la chanson d’introduction est un véritable poing dans le visage de l’auditeur. Ici, pas de longues mélodies, vous êtes ici pour un aller simple de 40 minutes. From Here est une véritable bombe qui va enclencher notre voyage. Nous pouvons, dés les premières secondes, ressentir des volontés d’explorer de nouvelles sonorités, la voix de Brooks étant encore plus aérienne que précédemment.
Cela va se ressentir sur toute la production de cet album. Quelques pédales d’effets se feront discrètes mais bien présentes, permettant de temps en temps quelques envolées et mélodies nouvelles dans la musique de Torche qui sont très appréciables. Cela tranche avec le sludge qui tenait au ventre de leur précédent album. La chanson éponyme de l’album, Admission est une parfaite représentation de ces recherches. A la première note, un grand sourire se dessine, une certaine euphorie s’empare de nous et nous laisse voguer dans leur mélange unique de stoner avec ces quelques teintes “shoegazantes” présentes tout au long de l’album. Cet album est rempli de chansons dansantes, fraîches, allégorie d’un été qui bien que chaud, nous fait du bien, et nous ressource. Mais bien entendu, toute la tracklist n’est pas dans ce même style. Nous alternons entre voyage aérien et traversée lente du bitume chaud. Dans cette dernière catégorie, le rythme plus downtempo de la chanson Times Missing nous plonge dans un périple exaspérant. Nous avançons avec difficulté en sachant que l’oasis n’est pas loin. Et cette sensation de lenteur se ressent de plus en plus sur la seconde moitié de l’album, comme si les musiciens eux mêmes essayaient d’économiser leurs forces pour établir une stratégie et ne pas tomber d’épuisement avant la fin du voyage. Sur le vinyle, toute la plupart de la face B est composé de ces morceaux plus lents, à la limite du pachydermique. Des musiques comme Reminder ou Infierno nous imposent un rythme plus doom à suivre. Ce qui est le bienvenu après la première face de l’album, composée de titres explosifs. Car après la déferlante From Here, les chansons suivantes, comme Submission ou encore What Was sont tout autant rentre dedans.
Au final l’album est un dialogue entre ces passages plus rapides, très caractéristique du stoner de Torche et les chansons plus lentes. Au travers de ces deux passages se cachent des pistes pour relancer la machine et l’intérêt de l’auditeur. Slide va ralentir la cadence après deux chansons et c’est Extremes of Consciousness qui va à contrario nous faire taper un grand sprint final avant de finir la course avec une marche pesante sur les trois derniers morceaux.
Vous aurez remarqué tout au long de la chronique un champ lexical très présent en rapport à l’été et à la canicule. Ce qui n’est pas du tout surprenant en tenant compte des conditions dans lesquelles est sorti l’album ainsi que l’origine des musiciens. Torche a ici délivré un album d’une excellente facture, propre à leurs précédentes sorties et continuant sur leur lancée de stoner abrasif. Mais à contrario des déserts de Californie, le climat plus humide de leur Floride natale, a permis à Torche de décrocher de nouvelles exploitations sonores afin de proposer un subtil mélange de stoner/sludge écrasant et d’effets shoegaze. En cela, Admission est une réussite pour le groupe, une nouvelle personnalité des musiciens s’est exprimée avec cet album.
Mais ce qui m’a personnellement rendu l’écoute de ce nouveau disque assez particulière, c’est son contexte de sortie. Cela ne vous aura pas échappé, au moments ou j’écris ces lignes en juillet 2019, l’Europe connait un intense épisode de canicule, où le thermostat était très souvent intenable. Et bien la musique de Torche m’a permis de passer ces journées plus sereinement, me mettant de bonne humeur et m’indiquant la marche à suivre et la cadence de mes pas lorsque je devais sortir sous le soleil de plomb.
C’est pour cela que je ne peux que vous recommander cet album pendant la période estivale, ainsi que tout le reste de la discographie du groupe si vous découvrez Torche avec cette chronique. C’est un groupe dont la musique est la parfaite représentation de la chaleur et ils excellent dans ce domaine. Cette nouvelle sortie ne fait que les confirmer comme les champions du stoner/sludge caniculaire pour passer un été sans trop souffrir de la chaleur.
Chansons préférées :
- What Was
- Times Missing
- Admission
- Extremes of Consciousness