Il y a deux ans, King Gizzard avait réussi à garder une qualité constante sur l’ensemble de ses 5 albums sortis. A la suite d’un Fishing For Fishies de bonne facture, en est-il de même pour Infest The Rat’s Nest ?
Il est de ces groupes qui ne s’arrêtent jamais, qui évoluent tout le temps, tant dans le fond que dans la forme. King Gizzard And The Lizard Wizard est l’un d’eux. Après avoir sorti cinq albums dans autant de genres en 2017, les australiens récidivent cette année et gardent ce rythme effréné de parution qui les caractérise [on en est à 15 albums en 7 ans maintenant]. Bien sûr, c’est en faisant toujours ce qu’ils veulent, à savoir changer constamment de style. Après un Fishing For Fishies rempli de bluegrass avec une excursion vers le prog et le disco, le groupe enchaîne avec du thrash metal. Ne tentez pas de reproduire un tel grand écart stylistique chez vous, cela est réservé aux professionnels. Pour l’anecdote, les deux albums sont séparés de…4 mois
Parlons tout d’abord de la pochette de l’album : un piédestal rouge surmonté d’une sorte de trône avec à son sommet deux mâchoires de rongeur se faisant face, une grille d’aération les séparant. L’ensemble est plaqué d’or et entouré de pénombre. Les peintures psychédéliques des autres albums sont oubliées et remplacées par une photo étrange, inquiétante et à l’aura définitivement agressive.
Et la musique ? Et bien elle est à l’image de cette pochette : de l’or, placé dans une ambiance ténébreuse, étrange, inquiétante et avec un son définitivement agressif.
Mais avant de développer en profondeur les compositions des différents morceaux de l’album, il faut d’abord parler du concept autour de celui-ci : la fin de l’humanité et ses conséquences. Toutes les chansons parlent plus ou moins directement de notre extinction à travers divers moyens, la face B d’Infest The Rats’ Nest racontant même une histoire selon Stu Mackenzie. A ma connaissance, c’est la première fois que le groupe use de cette technique sur plusieurs morceaux : si Nonagon Infinity et Flying Microtonal Banana sont aussi des albums concept, ils sont articulés autour d’un concept musical et non une histoire.
La face A de l’album est composée de 4 morceaux racontant 4 histoires différentes dissociées de celle de la face B, mais il est possible de lier les 2 parties du disque si on cherche bien (je vous laisse le plaisir d’explorer cela vous même). Afin de souligner le caractère désespéré des 35 minutes qui nous attendent voici ce qui est conté par le septuor de Melbourne :
- Planet B : le groupe dépeint une Terre mourante, ne laissant d’autre choix à l’humanité que de chercher un nouveau foyer. Mais “il n’y a pas de Planète B”.
- Mars For The Rich : ici, on suit l’histoire d’un terrien à la situation peu enviable. Il voit les riches partir d’une Terre en détresse vers la planète rouge. Étant trop pauvre, il ne peut les rejoindre et se sait condamné à finir ses jours sur une planète devenue invivable.
- Organ Farmer : le titre est explicite : on parle de trafiquants d’organes, qui semble être devenu un métier courant, chapeautés par une organisation toute puissante
- Superbug : dernier titre de la face A , Superbug parle d’une pandémie à l’échelle mondiale, les antibiotiques n’ayant plus aucun effet. Dans les paroles, l’humanité a disparu suite à celle-ci.
- Venusian 1 : 1ère piste de la face B, Venusian 1 parle de l’équipage du vaisseau spatial du même nom, parti d’une Terre en proie à des “parasites”. Il se dirige vers Venus dans l’espoir de pouvoir y fonder une colonie. Le morceau évoque les différents dangers de la 2nde planète du système solaire. Il y a donc une planète V”.
- Perihelion : le Venusian 1, en cherchant à s’approcher du soleil pour se lancer vers Vénus, se rapproche trop de l’étoile et se fait happer par le champ gravitationnel de celle-ci. L’équipage est condamné à périr dans les flammes du soleil.
- Venusian 2 : le Venusian 2, vaisseau surement jumeau du 1er, viens d’assister à la triste fin du Venusian 1. Mais cet équipage là a réussi la manoeuvre autour du soleil et s’en va vers Vénus.
- Self-Immolate : en se posant sur Vénus, l’équipage du vaisseau est pris de folie à cause de la chaleur de la planète [à savoir qu’elle oscille entre 450°c et 490°c]. Ils meurent tous par auto-combustion.
- Hell : Après avoir succombé à l’atmosphère de Vénus, les voyageurs du Venusian 2 se retrouve aux portes des enfers. Guidés par Satan, ils envahissent l’endroit désigné comme “le terrier des rats”.
Comme vous l’avez sans doute compris, aucune des histoires décrites à travers ces 9 morceaux n’est positive, même si à la fin de l’album l’équipage du Venusian 2 semble avoir trouvé sa place dans l’univers. La Terre finit invariablement défigurée, et l’humanité s’éteint de par ses propres actions. Et ce n’est pas les trois clips musicaux qui changeront cette impression, les membres du « Roi Gésier » mourant tous brutalement dans deux de ceux-ci.
Les australiens retranscrivent proprement cette violente et implacable destinée dans leur musique : usage de double pédale, de guitares sous-accordées et de chant guttural et screamé. Le hard rock très énergique de Murder Of The Universe est dépassé, le tempo augmente (« Organ Farmer », « Self-Immolate »), les batteries sont beaucoup plus percutantes et les claviers sont beaucoup moins présents qu’à l’accoutumée pour du King Gizzard. Les guitares sonnent très “sale”, on a l’impression que les cordes ont un peu rouillé avant d’enregistrer les morceaux. Le son a une texture qui fait que les morceaux pourraient passer sur une B.O. de Mad Max sans dénoter de l’ambiance ou de l’image des films (les deux sont australiens en plus). A noter que la basse sort un peu du lot avec des passages en solo et des petites envolées de ça et là, ajoutant encore plus de diversité à l’album. La production d’Infest The Rats’ Nest semble avoir tout fait pour lui donner un aspect crasseux et corrodé.
Pour homogénéiser le tout, les musiciens ont fait revenir un motif, en plus du son uniforme du disque : des petits riffs ou solos en tremolo et tapping sur quasiment chaque piste. Seuls « Mars For The Rich » et « Superbug » n’en ont pas, les deux morceaux s’écartant un peu du thrash en étant plus orientés respectivement vers le garage rock et le stoner. Cette dernière possèdant même un passage en blues rock. Une autre explication pour cette homogénéité est que l’album n’a été composé que par 3 des 7 membres du groupe : Stu Mackenzie, Joey Walker et Michael Cavanagh. Si les 4 autres membres ont participé à l’enregistrement, les morceaux n’ont été influencés que par ce trio.
Néanmoins, on retrouve la patte du groupe sur l’album, via les effets psychédéliques des guitares ou encore l’harmonica. Les changements de signature rythmique voire même de tempo qu’adore le groupe (« Organ Farmer » en est un fameux exemple) sont légions mais ne perturbent jamais l’auditeur. Si King Gizzard l’emmène – encore une fois – vers un nouveau genre musical, la personne qui écoutera Infest The Rats’ Nest ne sera jamais complètement perdue par la direction que prennent les melbournians.
Au final, Infest The Rats’ Nest est un essai réussi pour King Gizzard And The Lizard qui passe aisément les frontières lourdement codifiées et gardées du thrash metal. Ils nous proposent donc un concept album avec une histoire d’exploration spatiale (ce serait donc un space opera ?) ainsi que d’autres éléments se déroulant pendant ou juste après des événements apocalyptiques. Et ils y mettent la forme, en ayant une esthétique et des sonorités adaptées à l’ambiance, tout en gardant des éléments propres à leur univers.
Les histoires ne finissent jamais bien, et pourtant on a envie de suivre les protagonistes tant leur musique est entraînante et énergique. Pour la première fois, les australiens avancent des paroles aux thèmes politiques (écologiques, économiques et sociaux entre autres) et sont plutôt convaincants dans cet exercice du moment que vous n’êtes pas climatosceptique.
Je vous suggère donc fortement de vous investir dans cette demi-heure de folie dantesque, il y a peu de chance que vous le regrettiez.
Titres favoris : « Perihelion » et « Venusian 1 », même si, au fond, aucun des titres n’est décevant.