A l’ère du 2.0, la communication est de plus en plus un levier incontournable pour intéresser les potentiels auditeurs (et tirer la couverture à soi), comme l’a par exemple fait Kanye West en proposant à grands renforts de comm’ son album The Life Of Pablo exclusivement sur SA plateforme Tidal.
Alors que tous les musiciens et communicants tirent dans le même sens, il fallait bien une figure de proue iconoclaste, et c’est encore une fois sur Radiohead que ça tombe. Et ça tombe plutôt bien, vu que le groupe anglais n’en est pas à son premier « coup marketing ».
Petit retour en arrière.
Retour en arrière, donc, et plus précisément le 1er Octobre 2007. De manière assez surprenante, Radiohead fait ce qu’on n’appelait pas encore le buzz en annonçant la sortie de son septième album…. Pour le 10 Octobre 2007. Pas de battage marketing, pas de spots TV, et…même pas de maison de disques. Un simple communiqué sur leur site internet. Hérésie à l’heure de la mondialisation de l’information ? Preuve que non. Le 10 Octobre 2007, le monde de la musique découvre un nouveau modèle économique, jamais vu sur un groupe aussi reconnu que celui-ci : le prix fixé pour télécharger l’album est entièrement libre. Et étonnamment (ou pas), cet album fut, en 2007, l’album le plus rentable pour les artistes. (La mauvaise foi me pousserait presque à vous parler de la répartition extrêmement injustes des droits SACEM mais je ne voudrais pas avoir l’impression de mépriser cette si belle institution….)
Bref, vous l’aurez compris, Thom Yorke et ses petits copains aiment bien innover. Innovation toujours : d’ordinaire, on relaie les messages, textes, photos des artistes sur les réseaux sociaux. C’est normal, c’est fait exprès. Il est même vivement conseillé d’alimenter régulièrement ces interfaces avec le public, afin de souder sa fanbase et de contribuer à la propagation des infos sur le groupe. Contre-pied #2 : Radiohead décide d’effacer toutes ses photos Facebook, tous ses posts, ses tweets… un immense espace vierge. Ce qui, en soi, ne représente pas grand chose. Internet est alors en ébullition. De manière incroyable, cette absence d’explication est relayée de manière parfaitement irrationnelle aux 4 coins du globe : Télés, radios, blogs, presse papier : tout le monde relaie que Radiohead ne dit rien. Se contentant d’un laconique post multi-réseaux sociaux avec une minividéo, le groupe anglais a encore gagné son pari. Innover et se démarquer.
Mais vous me direz, emprunts de cette mauvaise foi caractéristique qui me fait douter de votre existence à tel point que vous me rappelez mon auguste personne : « Oui, m’enfin bon, innover dans la comm’, c’est génial, mais pour des musiciens, au final, on en a un peu rien à braire. »
Et laissez-moi vous dire que vous avez raison. Alors, après l’introduction la plus longue de l’histoire de GrannySmith.fr, penchons-nous sur A Moon Shaped Pool.
Et il n’est pas exagéré de dire que cet album est attendu : précurseurs, innovants, surprenants (malgré mon objectivité toute relative, n’oublions pas de préciser qu’ils peuvent être décevants, cf The King Of Limbs.), les Grand-Bretons sont attendus au tournant à chaque nouvelle livrée. Alors, après avoir accumulé des millions de vues en 4 jours avec leurs 2 clips (dont un réalisé par Paul Thomas Anderson, qui a réalisé un paquet de films chouettes, dont The Master, pour lequel Johnny Greenwood a composé des titres. On y reviendra un peu plus bas, promis.), Radiohead dévoile le dimanche 8 mai à 20 :00 un album de 11 titres.
Dont certains déjà connus. Mais jamais enregistrés. Car oui, Radiohead ne fait jamais rien comme les autres. Les fans invétérés auront bien sûr frémi en voyant enfin une version studio de True Love Waits, que le groupe joue depuis … 1995 ( Oui, 21 ans.) Desert Island Disk, Full Stop, Identikit, Numbers (qui s’appelait alors Silent Spring), Present Tense et même Burn The Witch ont déjà fuité sur le net, issus de concert, parfois dans des formes complètement différentes. 7 titres déjà connus dans des versions lacunaires/embryonnaires et 4 titres complètement neufs :l’attente est donc d’autant plus grande.
Et ce qu’on constate dès la première écoute, c’est que Radiohead a décidé d’abandonner son expérimentation Jungle (qui a dit « c’est pas dommage » ? ) pour un opus beaucoup plus aérien (spatial, même, n’ayons pas peur des mots.). Léger, plus abordable d’écoute que son prédécesseur, A Moon Shaped Pool s’écoute d’une traite. Les morceaux se suivent avec fluidité, et on imagine sans peine que, comme d’habitude, les British se sont appliqués à composer 1 album et non pas 11 titres. Petit easter egg : les titres sont dans l’ordre alphabétique. Ca ne sert pas à grand chose mais c’est assez rare pour être signalé. Mais revenons un peu à l’album.
Un album marqué par la patte de Johnny Greenwood
Non, Johnny Greenwood n’est pas qu’une mèche avec une guitare. C’est aussi (surtout ?) un arrangeur de génie, dont on connaît l’importance au niveau de la composition et de l’orchestration au sein du quintet britannique. En l’occurrence, le retour des instruments à cordes apporte énormément à l’album, nourrissant le son et apportant une dimension dramatique par moments, propice à l’évasion à d’autres moments.
Et c’est là qu’intervient le London Contemporary Orchestra. Existant depuis 2008, le LCO (oui, c’est long à écrire) joue un rôle de « vulgarisateur » de composition classique moderne en Angleterre. Ayant interprêté les morceaux composés par Johnny Greenwood pour The Master, de PTA (je vous avais dit qu’on y reviendrait, vous voyez !), ils ont tout naturellement rencontré l’auteur. Une rencontre lourde de conséquences.
Car oui, c’est à cet improbable attelage Greenwood/LCO qu’on doit en partie à l’album ses ambiances absolument incroyables. Mais il est toutefois impossible de passer à côté d’un détail qui a toute son importance en ce qui concerne la couleur musicale de l’album, et c’est un bon gros détail nommé Thom Yorke.
Thom Yorke est-il un des artistes les plus géniaux de l’histoire ?
Ne nous attardons pas sur cette question (dont la réponse est oui) pour passer à l’étape suivante : quel est son impact sur A Moon Shaped Pool ?
Au-délà de ses éternelles jérémiades qui scinderont l’univers entre ceux qui trouvent ça beau et ceux qui rêveraient de lui faire fermer sa gueule à grands coups de batte de baseball une bonne fois pour toutes, Thom Yorke reste tout de même un chanteur hors pair doublé d’un parolier très talentueux. (De grâce, ne me parlez pas de l’album Pablo Honey, sinon je vous dévisse la tête et je vous chie dans le cou.). Mais Thomas Edward Yorke a un petit (euphémisme) penchant pour la dépression. Et la séparation d’avec Rachel Owen, qui met fin à une relation de 23 ans & 2 enfants impacte clairement le processus de création de l’album. Mélancolique, voire franchement triste par instants, l’album de Radiohead est-il une catharsis ? Trop tôt pour le dire, bien évidemment, mais le morceau True Love Waits qui cloture l’album peut nous laisser présager d’un désarroi profond (les tout derniers mots de l’album sont « Please Don’t Leave », ce qui n’incite pas franchement à l’hélicobite.).
Au final, que retenir de cet album ? Et bien… qu’il s’inscrit en droite lignée de ce que fait Radiohead. On retrouve parfois des similitudes dans les sonorités avec l’excellentissime In Rainbows, la réutilisation de quelques samples d’anciens albums (The National Anthem sur The Numbers par exemple) et une magie toujours intacte. Ne pas sortir 1 album par an, malgré une créativité débordante, permet de se pondérer, de choisir, déterminer, trier, sélectionner pour ne garder que le meilleur. Ce n’est pas parce que certains morceaux ont 4, 6, 10 ou 20 ans qu’ils sont là pour « faire le nombre ». Ils n’avaient pas leur place sur les autres albums car l’ambiance générale prime sur le nombre de singles. Ces morceaux d’avant ont trouvé leur place à présent, dans la discographie d’un groupe qui incarne le futur chaque jour depuis deux bonnes décennies.