C’était clairement un des albums les plus attendus de ce début d’année, et même de l’année en entier. Avec tout ce qui avait été dit en amont, Mastodon n’avait pas le droit à l’erreur. Est-ce qu’Emperor of Sand est une traversée du désert aride ?
Il faut savoir que la hype était forte pour cet album. Tout d’abord, on a eu les déclarations annonçant un retour de l’esprit prog dans les compositions. Ensuite, on a appris qu’on aurait un concept album autour du cancer et de la mort, puisque deux membres du groupe ont vu leur proche souffrir d’un cancer, avec malheureusement un destin tragique pour la maman de Bill Kelliher. Puis, on a eu la divulgation de la tracklist et surtout de la pochette, qui confirmait ce retour aux sources. Un personnage bien marqué, un univers précis, et surtout le logo qui ressemble à celui utilisé dans les 4 premiers albums du groupe. A la production on retrouve Brendan O’Brien, producteur de Crack the Skye, album considéré comme LE chef d’oeuvre de Mastodon, porté haut en estime par les fans de metal de tout genre.
Don’t Waste Your Time
Les considérations techniques passées, occupons nous des chansons. A travers 11 chansons, on va suivre la traversée du désert d’un homme condamné à mourir, et on le sait à travers le titre du morceau d’ouverture « Sultan’s Curse ». Si le protagoniste pense avoir un moment de répit avec « Show Yourself », seul morceau très pop, il va s’enfoncer à travers les méandres de la vie et se poser des questions existentielles pour profiter du temps qu’il lui reste. Et les voyages font parti des choses que Mastodon arrive à maîtriser.
Time Watching As The Sand Flows Through Glass
Musicalement, cet album arrive à mélanger la poésie et la mélodicité de Crack The Skye tout en gardant une certaine agressivité un côté direct qu’on retrouve sur The Hunter. Ce qui frappe c’est l’enchaînement maîtrisé des chansons et cette sensation que tout se suit dans une logique implacable. On se sent comme transporté avec le voyageur qui est au centre de cet album, notamment parce que la thématique du temps qui passe et quelque chose de commun à chaque homme. Qui ne s’est jamais demandé ce qu’il ferait s’il mourrait demain ? Qu’est-ce qu’on ferait de plus, qu’est-ce qu’on ferait de moins ? On est investi avec les membres du groupe qui se livrent devant nous.
Beaucoup de gens étaient sceptiques quant à la durée des chansons, reprochant au groupe de ne faire qu’une seule chanson longue, « Jaguar God » qui approche les 8 minutes. Mais après écoute, les morceaux vont à l’essentiel et arrivent à être directs sans oublier d’être intéressants et riches. Là ou un Metallica à la fâcheuse tendance de rallonger pour rallonger, ici on sait faire la bonne durée, et c’est une preuve de maturité et d’intelligence. Pour revenir sur « Jaguar God », les rumeurs en parlaient comme d’un « The Last Baron » bis. La comparaison est logique mais on est loin d’être devant un copié collé. C’est une clôture magnifique à un album déjà superbe.
You’re blind as the Ancient Kingdom
Il est important de parler des membres individuellement parce que chacun est au sommet de son oeuvre. En premier lieu, Brann Dailor, batteur et chanteur qui arrive à poser sa voix beaucoup mieux et qui est entouré d’une structure qui lui sied mieux. Chaque moment chanté est fou, mais on relèvera le couplet post solo d’ « Andromeda », ou encore les refrains de « Steambreather », « Roots Remains » et surtout « Word To The Wise » qui est incroyable de beauté. Quand Brent Hinds parle de sa voix comme le mélange de Fergie et de Jesus, on comprend mieux. On peut évidemment souligner ses parties de batterie qui sont, et c’est une habitude, au top.
Son compère de la rythmique n’est pas en reste. Si on aurait aimé un brin plus de basse dans le mix final, elle reste quand même très présente. Faut bien qu’on chipote un peu. Concernant les parties de chant, Troy Sanders prouve encore qu’il vieillit comme un bon vin. Allant chercher des parties plus aiguës comme sur « Show Yourself » ou des parties plus sombres comme sur « Scorpion Breath » ou on retrouve d’ailleurs le traditionnel caméo de Scott Kelly, chanteur de Neurosis, qui vient chanter sur chaque album de Mastodon depuis Leviathan en 2004. Il faut aussi souligner le refrain d’ « Ancient Kingdom » qui est lyrique, brillant, et sublime. Il est confronté de très près à la thématique de cet Emperor Of Sand, puisque sa femme a été touchée par un cancer du sein il y a bientôt 2 ans : on sent forcément son implication, que ça soit avec ses parties de chant ou avec sa basse.
Parlons de Bill Kelliher maintenant. Il est l’homme qui a porté cet album. Il habite à côté de son pote Brann Dailor et il possède un studio dans sa cave. La musique a été son exutoire et de nombreux riffs ont vu le jour dans ces sessions improvisées. Quand Troy Sanders parle de son compère en disant qu’il n’est jamais en pénurie de riffs, c’est vrai. Ils sont tous d’une qualité hors-norme. Il y a bien sûr « Andromeda », le highlight de Troy Sanders, mais on peut parler de « Steambreather » qui est assez lourd et pesant dans ses couplets. D’un point de vue personnel, Bill Kelliher est un homme sobre depuis 2 ans, et nul doute que ça l’a aidé à affronter ses épreuves. Il est l’homme de l’ombre dans Mastodon mais il sait faire le café quand il le faut. Discret mais essentiel.
Enfin, l’homme à qui on doit des excuses, Brent Hinds. Il est peut être drogué, il a un train de vie bizarre, il est tout le temps perché, mais bordel, le travail qu’il fait sur cet album est remarquable. Tous ses soli sont d’une efficacité incroyable et puis ses parties chantées sont vraiment bonnes, notamment sur « Jaguar God ». Sur cette même chanson, son solo de fin est poignant, comme sur « Clandestiny ». Mais il sait être plus incisif comme sur « Steambreather » ou « Sultan’s Curse ». Il mérite clairement son titre de MVP et on espère désormais que ses prestations live seront à la hauteur.
I Want To See Everything You’re Made Of
En 2009, Mastodon sortait Crack The Skye, album concept en hommage à la soeur de Brann Dailor, Skye, qui s’était suicidée. L’album est encore aujourd’hui une référence dans le monde (au sens large)du metal, et c’est notamment dû au travail de production de Brendan O’Brien. Sur Emperor Of Sand on retrouve ce même soin. Chaque instrument arrive à être mis en valeur, chaque voix est sublimée, chaque écoute fait dévoiler des petites choses qu’on aurait loupé à l’écoute précédente. Le seul petit reproche vient du fait que le tambourin et le shaker sont un brin trop présents. On aurait aimé qu’ils soient plus discrets sur certaines chansons. Mais on est sur du détail.
Les différents paramètres extérieurs allaient forcément pousser les gens à comparer Emperor Of Sand avec Crack The Skye. Mais ça n’aurait aucun sens de faire ça. Beaucoup de fans étaient dérangés par le virage « mainstream » pris par Once More Round The Sun. Ils peuvent être rassurés. On est au devant d’une oeuvre grandiose qui pérénnise Mastodon comme groupe majeur du 21ème siècle.
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