Brian Wilson est de ceux qui ont changé la face du monde musical à la fin des années 60. Leader/compositeur/chanteur/bassiste/arrangeur/producteur des Beach Boys, c’est à lui qu’on doit Pet Sounds, qui est de toute évidence (et c’est non-négociable) un des plus grands albums de tous les temps. A l’occasion des 50 (!!) ans de cet album de légende, Brian Wilson, flanqué de son compère de toujours, Al Jardine (également membre des Beach Boys), part en tournée. Bonne idée?
Entouré de musiciens/chanteurs absolument épatants, ce bon vieux Brian s’emploie à passer en revue durant 2h30 (à 75 ans…) le riche catalogue musical des Garçons de Plage. Cela débute par une sorte de voyage dans le temps, pendant une petite heure, à travers les bons et les mauvais côtés (Sail On, Sailor…) des Beach Boys. Si le public semble prendre un large plaisir à se promener parmi les indémodables California Girls, Little Deuce Coupe, Little Honda et autres Surfer Girl qui finissent définitivement de faire planer un doux parfum d’été sur cette soirée, on note tout de même quelques longueurs à la fin du premier set, qui laisse peut-être trop de place à un Blondie Chaplin qui malgré ses talents guitaristiques indéniables donne plus l’impression de ce bon vieux copain qu’on a embarqué dans le tour bus pour éviter de le retrouver confit dans la drogue au retour.
Premier set?! Oui. Brian Wilson est vieux. Et ce premier set a l’air d’être une lente agonie. Sous surveillance rapprochée de Mat Jardine (le fils de qui vous savez), Brian Wilson, caché derrière un piano dont il ne joue pas tout le temps, tente de reprendre les lignes vocales géniales qu’il avait lui-même crée il y a 50 ans. Parfois avec réussite, et parfois…avec perte et fracas. Il est parfois difficile d’accepter d’être plus proche de la fin que du début. Mais, sous l’impulsion d’un Al Jardine particulièrement bien conservé (à tel point qu’il a à peu de choses près la même voix qu’au siècle dernier), ce premier set se déroule bien, si on occulte les moments gênants d’un Brian Wilson qu’on exhibe comme un trésor de guerre, comme un vieux bibelot poussiéreux attestant d’une gloire passée.
Le deuxième set est, comme promis, l’occasion d’enfin pouvoir découvrir Pet Sounds sur scène. Et dans l’ordre, s’il vous plaît ! Le début est un peu laborieux dès que Wilson est au micro : il ne semble prendre que très peu de plaisir, le souffle court, peinant à tenir ses notes, les yeux parfois vides. On le sent plus dans le défi d’arriver au bout que dans la volonté d’interpréter. Les parties vocales sont donc assurées majoritairement par Mat ou Al Jardine, qui maintiennent aisément le bâtiment à flot. Le calvaire de Wilson atteint son apogée avec Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder), qui est parlé plus que chanté. On commence à se dire que le temps va être long. Mais, au moment où on ne l’attendait plus, Wilson enchaine plutôt bien sur I’m Waiting For The Day, qu’il parvient à habiter parfaitement. Sloop John B arrive enfin, et là…. alignement des astres ! L’interprétation de Wilson, si elle n’est pas parfaite, est réellement touchante, et on ressent plus que jamais une réelle communion entre lui et ses acolytes. Soutenu par dix musiciens toujours irréprochables, la carcasse jusqu’ici froide et amorphe de Brian Wilson semble reprendre vie, et nous transporte avec légèreté vers God Only Knows, qui est indéniablement le point culminant de l’album et de la carrière des Beach Boys. Au même titre que sur l’album, l’enchainement est parfait, majestueux, et ces deux chansons iconiques du groupe qui portent plus que jamais le sceau de Brian Wilson font vibrer la corde sensible d’un théâtre antique de Fourvière définitivement conquis. Les yeux s’humectent et les frissons ne sont pas à porter au crédit du froid (à presque 30°, ça serait malheureux…).
Une fois l’union entre Brian et son public du soir consommée, la suite de ce second set sera une douce et agréable croisière qui nous portera jusqu’à Caroline, No, en passant notamment par un Here Today de toute beauté. Indubitablement, Brian Wilson sait s’entourer, et la copie parfaite livrée par les dix musiciens qui l’accompagnent (Al Jardine compris), reprenant minutieusement et fidèlement chacune des compositions de cet album à l’orchestration complexe, en est la preuve.
Après deux sets et plus de deux heures de prestation, tous seraient en droit d’aller gouter à un repos bien mérité, mais l’ambiance n’est pas encore à la séparation, et c’est Paul Von Mertens, saxophoniste, flûtiste, clarinettiste, harmoniciste et surtout véritable chef d’orchestre de la formation de Brian Wilson qui revient sur scène pour prendre la parole. C’est lui qui présentera tour à tour chacun des membres du groupe, qui fera son entrée sur quelques secondes de covers variées, interprétées par les musiciens présents sur scène. Une fois ces quelques mondanités effectuées, on repart de plus belle pour un rappel qui commence sous les meilleurs auspices avec Good Vibrations. Puis ce sont les premières notes de Help Me, Ronda qui font se lever Fourvière d’un seul homme, pour aller se grouper devant la scène, ravi d’aller se trémousser pour soulager des jambes qui commençaient à s’engourdir. Barbara Ann, Surfin’ U.S.A., Fun, Fun, Fun, et voilà le théâtre antique embarqué dans une petite session de surf music comme seuls les Beach Boys en avaient le secret, sous l’œil bienveillant d’un Al Jardine qui semble ravi de cette belle agitation. Love and Mercy sera un doux point final à cette soirée qui aura été une bonne surprise. Ne nous mentons pas : on était simplement désireux de voir Brian Wilson avant sa mort, sans rien attendre de particulier. Quelques heures plus tard, on a acquis avec certitude que l’œuvre de ce bonhomme-là est tout simplement immortelle.
Merci à Bertrand, pour la co-écriture et la passion transmise.