Notre Sjohyenar national est de retour. Deuxième mois de suite que notre animateur rend hommage à une des belles plumes de la musique française. Alain Bashung nous a quittés il y a 9 ans en ce 14 mars. On ne pouvait pas rester sans rien faire.
Au pays des matins calmes, voilà neuf années que l’un de ses fidèles habitants s’en est allé. Laissant avec lui quelques valises de voyages solitaires et de nuits perdues entre rails et gares. De celles qui se ressemblent toutes. De celles dont un seul et même train ne fait que passer, continuellement, y laissant parfois quelques passagers sur le bas-côté. Les rêves dans la poche, accompagnés de quelques bouts de papelards et une vielle paire d’écouteurs défoncés.
« Au pays des matins calmes
Pas un bruit ne sourd
Rien ne transpire ses ardeurs
J’aimais quand je t’aimais
J’aimais quand je t’observais
J’étais d’attaqueJ’sais plus qui tu es
Qui a commencé
Quelle est la mission
Soldat sans joie va déguerpis
L’amour t’a faussé compagnie. »
Ici, nous prenons le temps. Avant la fin. Ici, nous nous postons dans un recoin et voyons ces êtres vivants. Des centaines et centaines de personnes, coureurs de fond, s’activant ci-et-là pour ne pas louper ce train. Cette vie. Ces humains dansants à l’aveuglette, s’agrippant pour ne pas goûter l’asphalte. Ici, nous prenons le temps de nous perdre, dans l’ombre, écoutant et savourant celui qui nous a quittés il y a maintenant neuf ans.
Lui, répondait au nom de Bashung. Alain.
Lui, dans la tristesse et la lumière, triturait la langue comme personne.
« C’est un grand terrain de nulle part
Avec de belles poignées d’argent
La lunette d’un microscope
On regarde, on regarde, on regarde dedansOn voit de toutes petites choses qui luisent
Ce sont des gens dans des chemises
Comme durant ces siècles de la longue nuit
Dans le silence ou dans le bruit. »
Lui, m’a longtemps accompagné sur le quai de ces gares et sur la banquette de ces trains, y déposant continuellement quelques bouts de phrases, des mots et pensées dans les quelques bagages d’une vie. Une audace et une liberté de création touchant bon nombre d’autres passagers. Une écriture et une histoire, des histoires, faisant échos chez d’autres encore. Ceux qui ont, eux aussi, connu ces nuits introspectives trouant oreillers et draps. Contemplant, sur son de pas, tibias et péronés. Loin des regards de ce monde du dehors. Ceux qui ont connu la beauté d’une blonde, à voyager la nuit tombée dans un corps nu de femme. Ceux qui ont joué avec la vie et sa seule certitude, la mort. À jouer des coudes face à ses peines. À boire des coups face à ses pintes. À jouer, encore et toujours, de cet équilibre de la vie. Posé là, sur ce trapèze, attendant celle qui sera nous emmener vers cette félicité tant attendue. Celle de l’esprit.
« Aucun express ne m’emmènera
Vers la félicité
Aucun tacot n’y accostera
Aucun Concorde n’aura ton envergure
Aucun navire n’y va
Sinon toi. »
Chialer. Gueuler. Se marrer et fanfaronner. Se détruire la voix, une dernière fois, au moins pour elle ; pour Joséphine. Gaby et Bijou. Fumer pour oublier qu’elle boit. Boire pour oublier les autres. Passer du temps dans la joie. Passer le reste dans la tristesse. Désespérément humain, touché et affaibli. Soldat de la vie, de l’amour et des blessures qui vont avec. Tout cela, et encore plus, se trouvait présent à chaque instant de ces voyages avec cet homme. Posté, ici, sur ce quai ou dans ce train.
De l’aube à l’aube
Dernière piqûre avant la fin
Fantôme d’une partition
D’une note bleue
De ses maux
« Angora,
Montre-moi
D’où vient la vie,
Où vont les vaisseaux maudits
Angora,
Sois la soie
Sois encore à moi. »