Quel grand écart que d’écouter les débuts de Being As An Ocean, puis de voir où ils en sont maintenant. Depuis Dear G-D (2012) et son hardcore mélodique, la bande originaire d’Alpine (Californie) a évolué vers un rock alternatif, teinté de touche électroniques. Toute proportion gardée, c’est une courbe similaire à celle suivie par Bring Me The Horizon ou Linkin Park avant eux : moins de chant crié, plus de synthé et d’électro, un son plus radio-friendly, une production un peu plus léchée aussi. Avec PROXY : An A.N.I.M.O. Story, on est là-dedans.
Successeur de l’excellent Waiting For Morning To Come (2017), qui avait justement ouvert ce nouveau chapitre dans la carrière de BAAO, cette nouvelle galette nous plonge dans une ambiance futuriste, aux accents cyberpunk. D’où le côté électro-rock plus poussé, sans doute. Mais surtout, c’est l’ambiance du clip de « Play Pretend », premier single dévoilé en amont de la sortie. C’est aussi le premier titre sur PROXY, qui s’ouvre tout de même par une petite intro très électro. Petit rappel peut-être à Waiting For Morning To Come, où chaque chanson ou presque était précédé d’un petit interlude instrumental, qui jouait énormément dans l’ambiance générale de l’album.
Vient ensuite « Find Our Way », soit les deux singles que l’on connaissait déjà, histoire de bien nous mettre dans le bain. Personnellement, je suis plutôt fan de ce choix de mettre les singles aux extrémités de la galette (au début ou à la fin). Je trouve que ça permet de parfaitement profiter de la découverte des autres morceaux. Ici, « Play Pretend » et « Find Our Way » donnent le ton. Joel Quartuccio, le frontman, gère les couplets au chant clair, tandis que Michael McGough et sa guitare rythmique assurent les refrains. La recette fonctionne, les deux titres marcheront très bien en live, et on a même une petite outro en français sur le second single. Mais avec « Brave », qui suit juste derrière, on entre vraiment dans le vif du sujet. Parce que si l’album s’appelle PROXY : An A.N.I.M.O. Story, qu’un compte Twitter A.N.I.M.O. Corp a été créé et que le clip de « Play Pretend » est scénarisé de manière un peu plus poussée que la simple formule « le groupe joue dans un endroit creepy », ce n’est sans doute pas pour rien. Reste donc à savoir quelle histoire raconte PROXY. « Brave », en tout cas, nous met sur la piste d’un amour perdu avec la ligne ô combien efficace :
« Without you, I don’t feel so brave ».
On enchaîne avec « Tragedy », son pré-refrain aux limites du rap qui précède une belle explosion. Et la ligne « Who was I to think that you’d change », qui laisserait supposer une forme de trahison ? L’amour serait donc perdu parce que women are trash ? Pas impossible, attendons les résultats de la VAR pour se prononcer. En attendant, PROXY se poursuit avec « Skin », qui à mon sens, est un des titres les plus faibles de la galette. Beaucoup trop dépendant de son refrain au détriment d’une écriture un peu plus recherchée. Décevant quand on sait que Being As An Ocean est capable de petits bijoux dans ce domaine. La chanson en elle-même laisse à penser que trahison ou pas, la rupture qui semble être évoquée n’a pas été totalement digérée par Monsieur. Il a encore Madame dans la peau. Un amour fort, passionnel, et donc perdu.
Un petit interlude instrumental et on enquille sur la deuxième moitié de ce PROXY. « B.O.Y. » nous offre les premiers passages de chant criés de la galette. Une occurrence bienvenue, car un peu trop rare sur l’ensemble de l’album. Les guitares en intro se font plus puissantes, Joel Quartuccio se fait plus énervé, Michael McGough nous sort un beau refrain chant clair. Pas de doute, on est sur un titre de post-hardcore so 2019. Mais aussi sur l’introduction d’une nouvelle entité, grâce au refrain : « Don’t let them get the best of you // Your soul’s the only thing you got to lose ». Étant donné les fils de l’intrigue, on tend à croire que « them », c’est la fameuse A.N.I.M.O. Corp. Oublions tout de même le scénario une seconde pour profiter du breakdown. Oui, oui, on peut succinctement faire la bagarre sur PROXY. On ne va pas se plaindre.
« Low Life (Ode to the Underworld) » possède le combo pré-refrain/refrain le plus efficace de PROXY, et va faire un malheur en live. Surtout quand on connaît le charisme et l’énergie que dégage le frontman de BAAO. La chanson elle-même nous parle de recherche de soi, avec une belle plume. Dans le contexte de la galette, on peut faire des suppositions. Et si A.N.I.M.O. Corp était une corporation ayant pris le contrôle de la population pour les façonner et les contrôler (façon Matrix) ? Et si la « Low Life », c’était la vie de ceux qui échappaient à ce contrôle ? Et si Monsieur avait perdu l’amour de sa vie dans la quête de sa liberté, pendant que sa douce restait enfermée aux griffes de la super-puissance ? À suivre…
« Demon » vient ensuite, et apporte une nouvelle dimension. Monsieur semble accepter qu’il ne pourra plus compter sur Madame à ses côtés. Et il a bien l’intention d’affronter A.N.I.M.O. Corp, quand bien même le combat s’apparente à David contre Goliath. Il n’abandonnera pas car : c’est le héros. Et qu’il le dit clairement : « I might take a blow but I’m still here ». Vient ensuite « Watch Me », avec sa ligne de basse bien exécuté en intro. Presque dommage qu’elle se coupe et que les musiciens partent dans une autre direction tout de suite après. Mais le titre suit parfaitement le chemin tracé par « Demon ». Monsieur est prêt à faire la bagarre. Il refuse le destin qu’on a choisi à sa place : « Never had a say in this, it’s just who I’m meant to be // Fake cuts and weaves // Not afraid to take a step, death’s forever-following // Come and watch me bleed ». Est-ce que ça fonctionne ? Oui, très bien même. Moi je veux voir Monsieur faire du 1 vs 100 contre des robots matrixés.
« See Your Face » nous ramène à la relation amoureuse perdue, passée au second plan dans la deuxième partie de PROXY. Du moins, c’est ce qu’on croit. Car finalement, on ne parle pas d’amour. Le protagoniste semble s’adresser à un nouveau personnage, qui semble mort. Comme une sorte de mentor. À moins qu’on fasse fausse route, et qu’il n’y ait jamais eu de trahison de Madame. Et si finalement, c’était elle qui, la première, avait cherché à se rebeller contre A.N.I.M.O. Corp ? Et si elle l’avait payé de sa vie ? Ou qu’elle avait été capturée et que le héros cherchait à la sauver ? C’est peut-être ce que signifie la ligne « I’ve got a long way to go before I see your face ». Ne reste qu’une ultime chanson, « A.N.I.M.O. », pour nous apporter quelques réponses. Le refrain et le rythme lent, calculé de la chanson nous plonge au cœur de la corporation, du système. « Subdue the body, the mind persist » nous fait croire que la volonté est capable de surpasser la puissance. « No death, no life, no heart, no mind » nous renvoie à l’outro de « Find Our Way ». Une voix féminine nous disait que tout ceci n’était qu’un rêve. Peut-être est-ce là la conclusion de l’histoire. Celle d’un homme qui tente de s’échapper d’une prison immatérielle. L’espoir semble éteint… jusqu’aux toutes dernières secondes de « Outro (What it means to be human) ». On y entend un pas humain. Il boîte, il est blessé. Puis le son s’arrête, nous laissant nous demander s’il avait péri, ou s’il avait finalement réussi à s’échapper.
Au final, PROXY : An A.N.I.M.O. Story nous narre un récit largement ouvert à différentes interprétations, et peut-être même que votre humble serviteur a été bien trop loin dans sa réflexion, et qu’il n’y a en réalité rien à déduire des textes et des mélodies de l’album. L’effort, dans sa globalité, poursuit sur le chemin emprunté par Being As An Ocean avec Waiting For Morning To Come. Le groupe est entré dans un nouveau chapitre et nous livre un nouveau projet ambitieux. Individuellement, chaque chanson est très bien produite, les refrains sont efficaces, et la bande ne se coupe pas totalement de son passé melodic hardcore. Ce que l’on peut regretter, c’est l’apparente simplicité des textes. Là où des titres comme « The Poets Cry For More », « Dear G-D » ou encore plus récemment « Glow » amenaient des lignes d’une beauté à vous frapper dans l’estomac, on ne retrouve rien de cela sur PROXY. En revanche, si scénario il y a, la complexité lyrique se retrouve tout de même sur la globalité de l’œuvre.
Pour résumer, PROXY : An A.N.I.M.O. Story ne conviendra pas à tous les fans de la première heure, mais il mérite d’être écouté. Les synthés ont peut-être remplacé les cris, mais Being As An Ocean a le mérite de proposer du neuf, d’expérimenter, et de ne pas s’enfermer dans une zone de confort. L’effort doit être salué, d’autant plus si le projet A.N.I.M.O. Corp continue à prendre de l’épaisseur. Peut-être au travers de futurs clips ?