Construire une discographie cohérente n’est pas chose aisée. En se déviant trop du matériau de base on peut perdre des fans du début, mais en restant trop fidèle à ses racines on prend le risque de conserver sa niche de supporters sans grandir outre mesure. Trouver l’équilibre est compliqué et le groupe du jour en est le parfait exemple.
Chaque art est sujet aux évolutions. Il suffit de voir les différentes ères en peinture pour s’apercevoir que les courants stylistiques se sont succédés. Tout ceci ne s’est pas fait sans expérimentation sur les supports ou les couleurs. C’est le lot de l’Art, tenter avec plus ou moins de réussite de mixer de nouvelles choses avec ce qui est déjà existant.
En musique, on retrouve la même composante avec des styles de base qui ont connu de multiples tourments dans leur histoire. Rajout de pédales sur les guitares/basses, batterie plus imposantes, plus de musiciens, pas de chanteur, durée des chansons plus longues, complexité plus importante… La liste pourrait continuer pendant plusieurs paragraphes, mais cela n’aurait que trop peu d’intérêt ici. En revanche, il est intéressant de constater que le changement ne sera jamais une bonne idée.
Avant que vous ne sortiez les fourches, je vais étayer mon propos. De nombreuses formations ont connu, dans leur carrière, des virages artistiques plus ou moins prononcés. Récemment on pourra noter Muse, Coldplay ou encore Bring Me The Horizon. Outre leur appartenance à la « Perfide Albion », ces groupes se sont vus être accueillis par des critiques, plus ou moins virulentes, lors de leurs sorties récentes. Leur défaut : être trop éloignées de la musique de leur début. Au point de devenir, pour certains, de véritables cibles et punchlines vivantes. Est-ce que cela sous-entend qu’il ne faudrait donc jamais évoluer ?
Si seulement c’était aussi facile, les groupes resteraient toujours dans leurs genres de base sans en changer. Mais que ça soit AC/DC, Metallica ou Architects, pour prendre un exemple plus récent, le fait de proposer une recette connue à chaque album provoque là aussi des critiques. Il faudrait donc changer mais pas trop pour satisfaire un auditeur de plus en plus présent et bruyant grâce aux réseaux sociaux. Difficile à concilier. Pour autant, il semble qu’un groupe ait réussi à construire une réputation assez solide pour valider chacun de ses albums, quelle que soit la piste entreprise.
Voilà 17 ans qu’Enter Shikari existe. Aucun changement de line-up n’est à déplorer, ce qui reste un bel exploit. 6 albums studios, des lives, des EP, des singles, la discographie des Anglais est assez impressionnante. Le succès arrivera avec leur 3e LP : A Flash Flood Of Colour. Déjà couronné par les critiques auparavant, le public va clairement affluer autour du groupe suite à ce disque. Mélange de metalcore moderne et de sonorités électroniques, Shikari va devenir une sorte d’ovni dans une scène qui cherchait de nouvelles têtes d’affiche.
Avec ses thématiques engagées et ses chansons dansantes, le quatuor va devenir emblématique. Portée par ses shows lives d’une qualité remarquable, la trajectoire de la formation va être grandissante. The Mindsweep, sorti en 2015, enfoncera le clou. Le groupe délaissant les influences metal pour devenir plus rock, mais sans couper court aux expérimentations et autres mélanges. De quoi remplir un Transbordeur à Lyon par exemple ou bien être la tête d’affiche de la Zippo Stage au Download Festival à Donnington Park.
Et puis, l’erreur de parcours. The Spark (2017) sera un disque qui comptera un single fort (« Live Outside ») mais qui sonnera creux, plat et surtout lisse. L’originalité et l’expérimentation des débuts sont remplacés par une mixture qui va d’un point A à un point B sans faire d’écarts. Alors qu’on pensait Shikari lancé vers la route du succès, cet album va créer un vrai frein de popularité. On pourra l’apercevoir lors de leur passage à Lyon en 2019. D’une salle de 1800 places les Anglais sont passés à 500 avec le CCO.
Nous voilà donc en 2020 avec un groupe qui ne doit pas se planter sous peine de régresser encore plus. Nothing Is True & Everything is Possible est la proposition des quatre musiciens pour repartir en avant.
Une chose frappe dès la première écoute : la diversité sonore qui nous est proposée. Quelque chose qui pourra dérouter les nouveaux auditeurs mais qui s’avère être une excellente chose. Enter Shikari a retrouvé son inspiration et expérimente d’autant plus.
On se balade entre morceaux entraînants et sombres, rock classique et élégie instrumentale et symphonique. Une ambition sonore qui fait clairement plaisir à entendre. Le quatuor de St Albans sait donc se renouveler et montre qu’il sait encore surprendre en 2020.
Cependant, n’imaginez pas que tout est rose dans cette chronique. La tracklist est assez inégale, et ce, dès son introduction. « The Great Unknown » est un morceau parfait pour ouvrir l’album. Riff péchu, refrain catchy, une chanson plus que réussie pour s’ambiancer. Malheureusement, elle est suivie par « Crossing The Rubicon » qui donne un immense coup de frein à l’ensemble. Une sensation qui va revenir régulièrement tant les morceaux forts sont suivis par de véritables moments creux.
L’autre point faible, à mon sens, est la durée des morceaux. Car si l’ambition musicale d’Enter Shikari est présente, c’est dans sa capacité à multiplier les sonorités et les instruments. En revanche, l’album est calibré pour de la radio et de la télévision. Pas un seul titre dépasse les 4 minutes. La seule chanson qui aurait pu être un peu plus longue est coupée en deux sur la tracklist (« Marionettes I & II »). Un petit regret tant les deux s’enchaînent parfaitement lors de l’écoute.
Enfin, le choix des singles peut être considéré comme un défaut tant ces derniers sont les véritables pépites du disque comparés au reste de l’album. A l’exception de « Marionettes I & II », les 5 morceaux diffusés en amont de la sortie de Nothing Is True représentent les vrais « Bangers ». Mentions spéciales à « T.I.N.A » & « Satellites ». Du coup on se retrouve avec un LP dont toute la moelle s’est retrouvée absorbée par les auditeurs et dont le reste du squelette est en deçà en terme de qualité.
Il est important de parler des thématiques abordées dans cet album. Enter Shikari étant réputé pour aborder des sujets sérieux dans ses chansons. Nothing Is True & Everything Is Possible ne déroge pas à la règle. Des réseaux sociaux et leur capacité à nous tirer vers le bas, à l’apocalypse en passant par la difficulté d’apercevoir la vérité en ces temps modernes, le disque est finalement assez sombre. Mais la plume de Rou Reynolds se révèle sur « Satellites » où il offre une magnifique lettre d’empathie envers la communauté LGBT. Un texte assez beau qui termine de faire de ce titre un des meilleurs.
Le pari est plus que réussi pour Rou & ses compères. Nothing Is True est un vrai bon album d’Enter Shikari qui va se loger tranquillement à la 2e position de mon classement : A Flash Flood Of Colour étant intouchable. Malgré ses défauts, ce disque montre que la créativité du quatuor est au top et il nous tarde de pouvoir revoir ce groupe en live.