Il est difficile de classer Baroness dans un des innombrables styles que comporte notre musique. A la fois progressive, intense et mélancolique, la musique du quatuor de Savannah est inclassable et fait la fierté de son géniteur, l’artiste plasticien John Baizley, présent au chant, à la guitare et signant chaque album d’une pochette magistrale dont la teinte générale de l’illustration donne son nom au disque que l’on s’apprête à écouter.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, et de parler de la sortie de leur cinquième album, il est bon de faire un bref historique du groupe, tant la décennie qui s’est écoulé fut charnière pour le groupe. Ayant dans leurs bagages deux EP (First et Second) et deux premiers albums (Red Album et Blue Record), qui ont marqué les connaisseurs de la scène à l’époque, Baroness commençait les années 2010 au sommet avec la sortie de leur double album en 2012, Yellow & Green, qui leur ouvrit les portes au succès et à la reconnaissance internationale, si ce n’est pour subir un cruel sort du destin quand l’ensemble du groupe frôla la mort dans un accident de tour bus en Angleterre la même année.
Suite à ce traumatisme s’en est suivi le départ de deux membres, qui certes n’entrava pas la tournée pour défendre leur album, mais qui marqua considérablement toutes les personnes présentes dans cet accident. C’était dans cette optique qu’était sorti en 2015 Purple, leur quatrième album voulait démontrer que le groupe était plus fort que le destin et voulait passer outre, un premier pas avait été fait, Purple avait quant à lui accéléré la notoriété de Baroness et permit au musiciens d’atteindre la place des plus grands avec une nomination aux Grammys pour leur single Shock Me.
Le succès était là, la blessure d’il y a 7 ans était presque fermée, mais celle-ci ne fut guérie complètement qu’en cette année 2019 avec la sortie de leur cinquième album, Gold & Grey
La couleur était déjà annoncée, lors d’un show acoustique de Baroness en 2018, John Baizley avait ouvert son coeur au public et disait que le line-up actuel de son groupe, (en place depuis l’arrivée à la seconde guitare de la talentueuse Gina Gleason en 2017) était celui dans lequel il se sentait le plus épanoui artistiquement parlant. Et cela s’était ressenti dès les premières écoutes des 3 singles sortis pour défendre Gold & Grey, Borderlines s’ouvre sur une nappe rapide de synthétiseurs et la voix lancinante mais caractéristique de Baizley, épaulé en back vocals par Gleason. Le morceau est beaucoup moins rentre dedans que ce que l’on pourrait attendre de Baroness après Purple. Des allants de post-rock se font sentir, et s’exploitent totalement dans le second single, Seasons, qui alterne entre ambiances nocturnes et montée de tension pour finir sur un blast-beat agressif. Le troisième single, Throw Me An Anchor était de ce sludge progressif qui a fait la renommée du groupe, tel la suite logique des morceaux célèbres de Yellow & Green et de Purple, on pouvait n’être qu’heureux, sauf qu’un mixage saturant beaucoup trop les basses avait fait grincer beaucoup de dents.
C’est avec ces 3 singles qui résonnent encore dans nos oreilles que l’on lance l’écoute de Gold & Grey et qui commence par la directe Front Toward Enemy, qui aurait sa place comme single de radio tant la musique que l’on connaît de Baroness est ici iconique et dans la continuité du mixage que l’on a découvert sur Throw Me An Anchor bien que moins saturé que sur cette dernière. Le mixage est donc un choix artistique assumé et singulier, n’ayant pas l’habitude d’une telle sonorité dans ce genre de style, il est totalement compréhensible lorsqu’on écoute les 18 pistes qui composent l’album d’une traite. Il n’y a, au final, que les chansons les plus agressives, sensibles aux anciennes compositions du groupe qui ont le droit à ce traitement, je pense notamment à Broken Halo. Les autres pistes ont toutes des ambiances différentes. La plupart sont mêmes assez courtes, c’est Borderlines qui remporte le prix de chanson la plus longue de l’album avec 6minutes et 16secondes au compteur. Et ce malgré le grand nombre de pistes à écouter, il reste assez court et donc digeste.
Lors de notre écoute, nous voyons apparaître beaucoup de chansons qui peuvent servir d’interludes, de petites parties instrumentales aux accents musicaux radicalement différents que la mélodie la suivant ou la précédant.
En écoutant Gold & Grey, nous avons ici affaire à un mélange de mélopées et d’ambiances toutes différentes pendant notre écoute et qui supprime une éventuelle lassitude qui pourrait nous guetter. Pour exemple, après la directe Front Toward Enemy, nous avons une partie de jeu entre la batterie et la guitare pour créer un riff entraînant qui reste en tête pour I’m Already Gone. Ces mêmes instruments qui avancent ensemble se retrouvent sur Tourniquet, pour épauler et continuer le morceau après un passage acoustique lointain.
Clairement la guitare acoustique et le clavier ont pris une place importante sur cet album, en témoigne la ballade au piano de I’d Do Anything. Ce même clavier/synthétiseur est le parfait témoin du changement de style qui s’opère tout au long de l’écoute de l’album, très souvent exploité avec différentes sonorités, parfois allant même au bruit de fond sonore, pour nous offrir des sonorités expérimentales comme sur Assault On East Falls.
Toutes ces sonorités forment une mixture très riche, unique et hétérogène, dont le fil conducteur sont les voix de Baizley et Gleason, qui accentuent cet effet mélancolique que l’ont peut ressentir durant notre écoute, pour preuve l’outro de l’album, Pale Sun où l’on entend le cri lancinant et lointain de nos deux chanteurs et qui viennent conclurent un album unique dans la carrière de Baroness, à la fois dans la continuité de ce qu’on pouvait attendre d’eux après Purple .Mais surtout on assiste ici à une véritable expression artistique de la part des musiciens, qui ne se sont imposés aucune limite dans leur composition, fleurant avec moult styles qui leur sont à tous très cher.
Nous assistons plus globalement à une énorme session de jam entre musiciens, où chacun s’exprime avec leur coeur pour donner vie à la musique qu’ils aiment, et de l’aveu même de John Baizley, c’est ce qu’il a toujours voulu avec Baroness, une musique sans limite de case où chaque musicien est libre de s’exprimer dans le style qu’il veut.
Gold & Grey; avant d’être un album que l’on peut apprécier ou non, c’est surtout un des albums les plus importants de la carrière de Baroness, servant de réflexion pour Baizley sur le passé et l’avenir de son groupe, tous en sont sorti grandi de cet album, et qui vient ouvrir la page d’une nouvelle ère pour le groupe. Gold & Grey clôture les “albums chromatiques” lancés 2007 avec le Red Album en et va lancer nos musiciens dans de nouvelles directions sans aucunes contraintes.
Et pour moi, ce n’est pas pour rien que bien que s’appelant “Or et Gris” la principale teinte de la pochette de l’album reste l’Orange. Si je dois en faire une métaphore, pour moi l’album représente la fin d’une journée pluvieuse, où à travers les nuages gris et menaçants, on aperçoit le soleil au crépuscule sur l’horizon et transperce le ciel terne pour laisser place à la lumière de la fin de journée et finir celle-ci sur une note positive, comme quoi la fin du voyage s’est bien passée. Après le crépuscule vient la nuit. On dit souvent que la nuit porte conseils et à n’en pas douter, Gold & Grey a apporté la touche finale à la carrière chromatique de Baroness pour les lancer sur des territoires encore inconnus. Nul doute qu’ils seront avides de les découvrir et d’en exploiter le meilleur comme eux seuls savent le faire.
Chansons préférées :
- I’m Already Gone
- Seasons
- Tourniquet
- Cold-Blooded Angels
- Pale Sun