Crippled Black Phoenix est un nom assez reconnu dans le monde du Post-Rock, mené par son maître à penser Justin Greaves, bien connu notamment pour avoir collaboré avec Electric Wizard, groupe dans lequel il a officié au poste de batteur, entre 2003 et 2006. Le groupe britannique a fait son retour en ce mois d’Octobre 2020, avec une nouvelle œuvre sombre et prenante.
Le contexte d’écriture et de parution d’Ellengæst furent pour ainsi dire très particuliers. Étant amputé de l’un de ses chanteurs et de l’un de ses claviéristes, à savoir Daniel Änghede et Mark Furnevall, le groupe a dû improviser. Cela explique donc la présence de nombreux invités dont certains sont assez prestigieux. Ces derniers sont au nombre de cinq et parmi les plus reconnus, on peut retrouver Vincent Cavanagh (Anathema) qui prête sa voix au morceau d’ouverture : « House of Fools » ou encore Gaahl (ex-Gorgoroth), que l’on retrouve sur la piste « In The Night ». Pour ce qui est du contexte, nul besoin de préciser une nouvelle fois que le COVID-19 est passé et repasse par là, impactant grandement l’industrie musicale. L’ambiance de l’album colle parfaitement avec l’environnement actuel : ce dernier nous propose une teinte très sombre, proche du mysticisme. On ressent durant tout son long une influence très rustre, comme s’il s’agissait d’une œuvre enregistrée durant la période victorienne. Ce nouveau disque affirme d’ailleurs cette tendance à travers son nom. En effet, pour trouver le patronyme de son nouvel opus discographique, Crippled Black Phoenix est allé fouiller dans le vieil anglais, « Ellengæst » signifiant « esprit fort ». Cette impression est renforcée par l’artwork de Thanasis Stratidakis possédant un grain très semblable à celui d’un tableau.
La piste ayant pour tâche d’ouvrir ce nouvel album (« House of Fools ») nous plonge directement dans son univers. Démarrant sur une partie de trompette brusquement coupée par un mur de son dissonant, étant par ailleurs le passage le plus violent du disque. Ce dernier représente excellemment le nom de ce dernier, étant la démonstration sonore de la folie décrite dans le morceau. Après cette abrupte intervention, l’ambiance douce et apaisée de la musique de Crippled Black Phoenix reprend le dessus. Le chant que l’on y nous présente est en réalité bien plus proche du conte, incarné par une voix très posée qui monte dans les aigus uniquement lors du refrain. Le frontman d’Anathema, Vincent Cavanagh, intervient à la fin du morceau pour nous offrir une performance vocale très bien interprétée qui nous amène progressivement vers sa suite.
Cette première pièce nous montre déjà l’une des principales particularités de cette œuvre : les compositions y sont souvent accompagnées par des paroles parlées, et non chantées. L’apparition de l’ancien chanteur de Gorgoroth : Gaahl, s’inscrit également dans cette démarche. Prêtant sa voix suave et caverneuse à l’étendu et lancinant « In The Night », qui s’ouvre sur une bande audio semblable à un enregistrement tiré d’un entretien avec une jeune femme. En substance, la musique de Crippled Black Phoenix n’apparaît ni complexe ni technique. A vrai dire, cela n’est absolument pas l’intention du quintette anglais. L’ambiance est bien la priorité et cela passe par des morceaux majoritairement longs, laissant le temps à ces derniers de se dérouler langoureusement, permettant d’impliquer au maximum la personne écoutant le disque.
Le ton de ce nouvel album colle parfaitement avec les thèmes explorés en son sein. Ellengæst aborde des sujets tels que la folie dans son morceau d’ouverture précédemment cité, mais aussi des problématiques comme l’importance du passé ou encore l’injustice de la condition humaine dans le monde ainsi que la dépression. Ces thématiques sont traitées avec une mélancolie et un sens de la poésie très propre et cher au groupe. Malgré ces idées, le groupe sait adoucir son propos notamment grâce à sa musique. En effet, malgré l’accent sérieux pris par le quintette, il sait tout de fois lever le pied, et nous proposer des atmosphères moins pesantes. En résulte des morceaux bien plus légers comme le très pop « Cry of Love » servi par un refrain à la fois émotionnellement très fort et résolument plus optimiste que ses camarades.
Cependant et malgré la grande qualité du disque, il y subsiste un problème de rythme qui vient gâcher sa fin. En effet, il est vraiment très regrettable d’avoir décidé de placer une autre piste, à savoir « She’s in Parties » qui est en réalité une reprise de Bauhaus après le titre « The Invisible Past » , meilleure pièce de l’album qui dégage une émotion impressionnante. Cette balade absolument sublime a pourtant toutes les qualités nécessaires pour constituer un final absolument dantesque. Ce choix, nous accompagnant jusqu’à la fin d‘Ellengæst casse complétement l’allure et toute la majesté dégagée auparavant. Le seul point noir de ce nouvel opus se fait alors remarquer ici.
Malgré ce problème qui gâche le final de l’album, Ellengæst reste un essai brillement réussi ayant un sens du rythme très bien maîtrisé et cohérent. Après une pièce précédente (The Great Escape sorti en 2018) très lumineuse, la décision d’opter pour une atmosphère plus sombre marque un contraste saisissant et très frais. Ce disque est une représentation assez réaliste et prenante de l’état de notre monde et de sa conjoncture. A la fois beau et poétique, mais aussi très sombre et plombant.