Parce que ça devient une habitude, on vous a ramené des interviews du Hellfest 2018. Ici, on revient sur notre discussion avec Chris & Martyn d’Orange Goblin. Les Anglais nous parlent de leur carrière, leur dernier album, le Stoner mais aussi du festival.
Granny Smith : Ce n’est pas votre première fois au Hellfest, est-ce que c’est spécial pour vous d’être ici ?
Chris : Oui. Le Hellfest est probablement notre festival européen préféré. C’est super bien organisé, il y a tellement de super groupes. En gros, tous les groupes que tu voudrais voir dans ta vie sont au Hellfest cette année. Et le public est super. Tu ne peux pas le surpasser.
Martyn : Il y a une atmosphère spéciale ici, c’est sûr. Je pense que ce que le Hellfest fait, c’est amener des groupes undergrounds devant des foules de 10 000 personnes et leur dire « Allez-y ». Et 10 000, ou 5 000 personnes vont apprécier. Ça crée une super atmosphère entre les groupes et la foule. Il y a plein de bons festivals dans le monde, on a eu la chance de jouer dans certains d’entre eux, mais c’est probablement notre préféré. Juste grâce à l’atmosphère. Depuis notre premier concert ici, on se dit toujours « Waouh, c’est un endroit génial ».
Granny Smith : Vous allez jouer plus tard dans la journée, à 19h40. Si vous aviez le choix, échangeriez-vous votre horaire avec un spot sur la Main Stage à 15h00 ?
Chris : Non, il y a eu des discussions au début à propos de ça. Bien sûr, on serait contents, peu importe ce qu’on donne, on n’est pas difficiles. Mais je pense qu’en tant que groupe, on préfère jouer sur une scène en intérieur, légèrement plus petite. C’est mieux de jouer un peu tard, parce que ça donne au public plus de temps pour être bourré (rires). Tu profites un peu plus quand tu es un peu bourré. Où alors tu as peut-être besoin d’être bourré.
Granny Smith : Vous avez une heure pour botter des culs sur la Valley, est-ce que c’est difficile de faire une setlist avec neuf albums dans votre discographie ?
Les deux : Oui !
Chris : On disait ça un peu plus tôt. Tout le monde à son album préféré, tout le monde à son morceau préféré de son album préféré, et il est certain qu’on recevra énormément de messages demain nous demandant « Pourquoi vous avez pas joué ça gneu gneu gneu ».
Martyn : Ce qu’on va faire, c’est jouer le nouvel album.
Chris : Il y a pas mal de nouveau truc là-dessus, et ça va être bizarre parce qu’il y aura des gens qui n’ont pas écouté le dernier album, et qui seront en mode « Hmm ? ». Mais on essaye de représenter chaque album, si on le peut. On essaye de jouer quelque chose du premier album, on essaye de jouer quelque chose du deuxième album… On essaye de mixer, afin que vous ayez un peu de nous à travers les âges.
Granny Smith : Vous parlez de votre nouvel album, The Wolf Bites Back, est-ce qu’il y a un message caché dans ce titre ? Est-ce que vous êtes le loup ?
Martyn : Oui, je pense que… avec Back From the Abyss, il y avait un petit message. De plus en plus de groupes s’efforcent d’écrire des paroles, des titres de chansons, des titres d’albums… Dans notre cas, on est passé à plein temps en 2013, on est partis neuf mois, on a quitté nos boulots. Mais c’est un truc de jeune… si tu vis dans un tour bus pendant neuf mois, c’est facile, plus facile. Mais quand tu es un quarantenaire et que tu dors dans un van jusqu’au prochain show, c’est beaucoup de travail. Ça ne nous a pas apporté assez d’argent pour justifier à nos familles d’être loin pendant neuf mois. On ne pouvait pas se permettre de dire « ça ne nous a rien apporté, mais on s’est amusés ». Du coup on est revenus à nos emplois et les gens ont dû penser, « ils vont probablement arrêter maintenant ». Donc The Wolf Bites Back, c’est une manière d’affirmer qu’on ne va nulle part. C’est plus un titre positif, dans la mentalité du groupe.
Chris : On fait partie de ces groupes… les gens ont tendance à nous écarter un peu vite, parfois. Mais en fin de compte, on vient de sortir un nouvel album qui a été super bien reçu. Ça fait 23 ans qu’on est là, il y a beaucoup de groupes qui sont arrivés après nous et qui sont partis avant nous.
Martyn : Il y a des choses qui ont mal tourné pour nous, et qui aurait achevé pas mal de groupes. Mais on n’a jamais raté un show. On est trop stupides pour faire quoi que ce soit d’autre !
Granny Smith : Mais vous le faites bien.
Martyn : Haha, oui. Et l’album a été reçu brillamment.
Granny Smith : Vous parlez de l’album. On peut y entendre du blues, du rock, du stoner, du doom etc. Il y a vraiment des sonorités métal. Est-ce que c’est, selon vous, l’album parfait pour entrer dans votre univers ? Une sorte de grand résumé de votre carrière ?
Martyn : Rien n’est parfait, mais ça s’en approche. C’est une représentation de nos goûts, de ce qu’on aime jouer. C’est une belle représentation de ça, et on a réussi à le capturer sur une quarantaine de minutes.
Chris : On est quatre personnes différentes, avec quatre goûts différents en musique. Et c’est ce qui a fait d’Orange Goblin ce qu’il est. Si on aimait tous exactement la même chose, on ferait juste une simple copie d’album à album, et chaque chanson sonnerait pareil. Donc je pense que c’est une très bonne représentation. C’est un album d’Orange Goblin, mais ça couvre toutes les petites choses qui nous plaisent. Tous les albums ont ça, mais celui-ci plus que les autres. Tu prends les trois morceaux en milieu d’album, d’abord l’instrumentale « In Bocca Al Lupo », puis « Suicide Division », qui sonne comme du Discharge . Enfin il y a « The Stranger » qui est plus mélodique et mélancolique, plus blues. Ces trois chansons se suivent, et c’est une bonne fenêtre sur la manière dont fonctionne notre musique.
Martyn : C’est quand même assez étrange, parce que les gens nous disent « Vous n’avez pas un son particulier, vous assemblez différents genres de musique ». On essaye de faire un album d’Orange Goblin, et c’est ce que c’est, un assemblage de différents genres. On ne se fixe pas dans un genre spécifique, plus maintenant. Avant on était dans le mouvement stoner rock, mais c’était il y a longtemps. On adore toujours le stoner rock, comme on aime le punk rock, le métal traditionnel, le black metal, les Pink Floyd, le blues, la country… Ce serait impossible pour nous quatre de se rassembler et de se dire « OK, on va faire un album de doom ». On ne pourrait pas le faire, parce qu’on trouverait ça ennuyeux. Ça nous amuserait pendant un moment, mais même pour moi qui suit un grand fan de doom, probablement le plus gros fan du groupe, je ne veux pas jouer ça. Pas pendant une heure. Je veux aussi jouer vite, je veux jouer des trucs mélodiques…
Granny Smith : Vous avez eu la chance d’avoir Phil Campbell en invité. Quelle importance ça avait pour vous de l’avoir sur l’album ?
Chris : C’est pas que c’était important, c’était un honneur. Il a dit depuis le début qu’il ne voulait pas faire des chansons style Motörhead. Il voulait faire quelque chose de différent, et c’est génial ! Il a un style très distinctif, et c’était génial de l’avoir sur des chansons qu’on ne l’imaginerait pas jouer.
Martyn : Il y a pas mal de chansons sur l’album qui sonne comme ayant été influencée par Motörhead et sur lesquelles on aurait pu l’imaginer jouer dessus. Or il nous a dit dès le début qu’il ne voulait rien jouer qui sonne comme Motörhead. Du coup, c’était parfait pour nous.
Granny Smith : C’est vous qui lui avez demandé ? Ou c’est lui qui est venu vers vous ?
Chris : Ça passe par un agent, qui booke Phil Campbell. Donc c’était aussi simple que de décrocher le téléphone et dire « Hé Phil, est-ce que tu veux faire ça ? ». Il a fait beaucoup de compliments après que l’album soit terminé. On n’était pas en studio avec lui, il était de son côté pour faire ses propres trucs. Mais il a fait pas mal de compliments sur le rendu final de l’album.
[Les deux autres membres du groupe font rapidement irruption. Après l’interview ils vont siffler quelques binouzes.]
Granny Smith : Dans les années 90, vous étiez en quelque sorte la nouvelle génération de groupes comparée à Motörhead. Maintenant, vous avez un membre de Motörhead en collaboration sur votre album. Est-ce que c’est une forme de passage de flambeau ? Et maintenant que vous représentez l’ancienne génération pour les groupes plus jeunes, avec quels groupes aimeriez-vous faire ce que Phil Campbell a fait avec vous, à savoir passer le flambeau ?
Chris : Il me semble que Ben (Ward, guitariste) a chanté avec quelques groupes. Vous connaissez YOB ? Ils s’appelaient Middian le temps d’un album. Ils ont changés de nom… ou ils se sont séparés et sont devenus Middian (selon Wikipédia, Mike Scheidt, guitariste et chanteur, a annoncé le split de YOB en 2006 et a annoncé qu’il travaillait avec le groupe Middian). Ben a chanté avec eux, il a aussi chanté avec un groupe nommé Zippo. Est-ce qu’il n’aurait pas aussi chanté sur un album de Solis ? Ou est-ce que c’était juste un truc en live, je ne me souviens plus. Inviter des batteurs sur un album ne se fait pas trop, alors je ne le ferais pas (rires).
Granny Smith : Ça fait plus de 20 ans que le groupe a été formé, comment faites vous pour garder ce son ? Je pense que c’est difficile de se réinventer tout le temps et de conserver cette magie, la foi de continuer à jouer ces chansons, les nouvelles et les anciennes…
Chris : Le plus important, c’est le plaisir. Si vous ne prenez pas de plaisir à le faire, vous n’avez aucune raison de le faire.
Granny Smith : Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous permet de conserver ce plaisir ?
Chris : Comme Martyn le disait, nous ne sommes pas un groupe professionnel, à plein temps. Donc en gros, certaines personnes vont se retrouver un week-end, boire des coups en regardant le football entre potes. Nous on sort le week-end, on bois des coups entre potes puis on fait un concert. C’est un truc social, on continue de le faire, par choix, parce que c’est fun ! On le fait pas parce que c’est notre boulot. Quand ça cessera d’être plaisant, je pense que c’est là qu’on arrêtera de le faire.
Granny Smith : Le groupe fait partie des fondations de ce qu’on appelle le stoner. Comment voyez-vous les mutations de la scène aujourd’hui ? Le stoner des années 90 n’est pas le même que celui de nos jours, on l’a vu aujourd’hui, il y a de multiples sous-genres etc. Comment voyez-vous le « vieux » stoner vis-à-vis des nouveaux groupes avec de nouvelles influences ?
Chris : Le truc, c’est que tout se fait appeler stoner. Quand on regarde, Black Sabbath est quasiment répertorié dans le stoner rock aujourd’hui ! Dans le temps, vous aviez le desert sound (autre nom utilisé à l’apparition du genre) et le son de Black Sabbath. Il y avait Kyuss, il y avait Sleep, et puis il y avait le doom.
Granny Smith : Oui, avec Pentagram…
Chris : Pentagram, c’est du doom metal, alors que Electric Wizard était plutôt stonery, ils parlaient de fumer de la drogue. Alors que d’autres groupes eux parlaient de se suicider, ça c’est le vrai doom. C’est l’angoisse de vivre, alors que pour Electric Wizard, dans les premières heures, c’était être défoncé. Il y a une grosse différence.
Martyn : Une autre chose, c’est qu’il y a le côté américain du stoner rock, la desert scene. Mais il y a aussi des groupes Finlandais qui sortent des albums avec le désert et des cactus sur la pochette. On voit ça et on a envie de dire : « Mais vous êtes de Finlande ! »
Chris : Vous êtes supposés mettre de la neige.
Martyn : Ouai, au moins mettez de la neige sur vos pochettes ! Utilisez votre désert. Soyez Finlandais ! Et c’est quelque chose qui arrive de plus en plus souvent. Il y a beaucoup moins d’imitateurs, et de plus en plus de personne qui utilisent les influences, mais rajoutent leur propre touche personnelle. C’est pour ça que plutôt que de parler de stoner rock, il y a 800 variations maintenant parce que tout le monde fait son propre truc.
Chris : Tout le monde, de Eyehategod à Sunn O))) a été décrit comme stoner rock, et il n’y a rien en commun entre ces deux groupes. Peut-être dans leurs influences, mais pas dans leur son. Si tu utilises l’idée de fumer de la weed comme définition du stoner rock, alors tu dois aussi inclure les Beatles !
Martyn : Et les Beach Boys !
Chris : Vers la fin des années 90, on a vu ça arriver et il y a eu un effet boule de neige. Bien sûr, les premières années, on a été inclus là-dedans. Nos influences étaient Cathedral, Sleep ou Acrimony. Acrimony ont été une grande influence pour nous, et c’était un vrai groupe de stoner rock. Mais autour de nous c’était la folie. Et puis dans les années 2000, on s’est dit « Ok, écrivons des trucs punk rock » et c’est la direction dans laquelle on est allés. On est devenus plus Motörhead !
Granny Smith : Dernière question : quel conseil donneriez-vous à un jeune groupe qui veut commencer à jouer de la musique ?
Martyn : Comme Chris l’a dit : amusez-vous, prenez du plaisir. Faites votre truc, ne baissez pas les bras si des gens vous disez que vous êtes à chier. Continuez juste à faire ce que vous avez à faire.
Chris : C’est vraiment « prenez du plaisir et travaillez dur ». Vous ne pouvez pas attendre des choses qu’elles tournent en votre faveur, mais tu as des gens qui se retrouvent très déçus parce qu’ils se disent : « on a dépensés énormément d’argent dans le matériel, dans les répétitions, dans nos chansons, pourquoi personne ne vient à nos shows ? » Tu dois quand même t’accrocher, continuer à t’amuser.
Martyn : On a toujours des déceptions, des moments où nous-mêmes on se dit « Putain ! 23 ans et il n’y a pas ci, pas ça ». Et au final, on passe à autre choses.
Chris : Il faut profiter d’abord, le reste viendra ensuite.
Martyn : La musique, c’est du fun. Je pense que les gens, les groupes, certains fans, certains journalistes, ils prennent tout ça beaucoup trop au sérieux. La musique, c’est la manière dont les gens peuvent se relaxer, de la manière dont ils souhaitent, et c’est tout ! Ça peut rapprocher les gens, ça peut être un instrument politique, mais au bout du compte, c’est juste de la musique, et on doit juste en profiter.
Remerciements : Orange Goblin & à Roger Wessier de Replica Records