Trois ans après Savage Sinusoid, le pionnier du metal breakcore revient avec une heure de musique répartie sur 14 morceaux pour au moins autant d’univers visités. On se penche dessus.
Igorrr, Gautier Serre au civil, est un artiste à part. Lui seul évolue dans le genre qu’il a créé, mélange de metal, musique baroque et breakcore. Ces influences vont et viennent selon les titres avec parfois d’autres ajouts. Sur Spirituality and Distortion, ce sont principalement des influences orientales qui vont se faire une place – parfois majeure – au sien des composition du français. On retrouve pour interpréter les morceaux les noms familiers : Sylvain Bouvier (de Trepalium) à la batterie, Erlend Caspersen (Spawn Of Possession, Abhorrent) à la basse, et bien sûr Laurent Lunoir et Laure Le Prunenec aux voix. Une myriade d’autres artistes étoffe l’album, notamment pour tous les instruments inhabituels présents dessus. Aussi de retour après Savage Sinusoid, le duo Førtifem a créé une très belle pochette pour le disque.
L’ambiance de l’album est très vite posée avec l’intro orientale de « Downgrade Desert », coupée par un riff de metal simple mais lourd grâce à une batterie appuyée. Avec les voix pesantes et tendues par-dessus, on peut aisément s’imaginer dans un western oriental (un eastern du coup ?), impression renforcée si vous regardez le superbe clip en même temps. Ce qui frappe d’entrée, c’est le son : la basse est plutôt en avant, les guitares compressées, rendant les parties metal de l’album proprement massives, surtout quand les riffs sont mid-tempo comme sur « Downgrade Desert ».
Le baroque revient vite à la charge dans le second morceau « Nervous Waltz », où il alternera avec un metal lent et solide. Le piano et le clavecin sont d’ailleurs assez proéminents sur le disque (« Hollow Tree », « Barocco Satani »), parfois appuyés par des tremolos black à la guitare, renforçant la sensation d’écouter un classique distordu. Le breakcore quant à lui est au final peu présent sur l’album, hormis sur « Very Noise » (dont on a déjà parlé ici) et « Paranoid Bulldozer Italiano » où il est cependant central à chaque fois. Mais c’est véritablement les instruments d’origine du moyen orient qui s’impriment dans notre inconscient. Que ce soit dans « Downgrade Desert », « Camel Dancefloor », « Overweight Poesy » ou « Himalaya Massive Ritual » (de façon détournée dans ce dernier), les sonorités marquent l’esprit.
Si Spirituality and Distortion fait bloc grâce à ses compositions comprenant à divers degré du metal, chaque morceau à une identité forte. Celle-ci est en général très bien résumée par les deux ou trois mots composants son nom. « Camel Dancefloor » trahit par exemple la présence d’un oud, ainsi qu’une partie centrale nous imposant de danser, sous la pression des clappements de main entraînants (je ne peux m’empêcher de penser au premier OSS117 lorsqu’il passe). Plus tard, « Musette Maximum » se traduit par un accordéon endiablé (qu’on peut retrouver sur « Kung-Fu Chèvre ») poussé par une batterie et une guitare aux accents de death metal. Dernier exemple, « Barocco Satani » inspire évidemment le baroque et le Malin.
Et dans toutes ces identités, j’ai sorti trois morceaux marquants : « Parpaing », « Polyphonic Rust » et « Himalaya Massive Ritual ». Le premier est un morceau de death metal avec George Fisher de Cannibal Corpse, groupe influent pour Igorrr. En plus de la voix surpuissante du chanteur américain, la chanson comprend un pont en chiptune décalé mais lourd grâce à Corpsegrinder qui growle par-dessus le 8-BIT.
Le second reste en tête grâce à une tension qui ne part jamais. L’intro est empreinte d’une menace qui ne se dévoile pas, comme si « Polyphonic Rust » parlait d’une entité cachée ou invisible. Le build-up au milieu du morceau fait monter la pression à son comble, avant que le poids de l’atmosphère l’emporte et reparte sur un riff qui ne vous veut pas du bien.
Enfin le troisième, « Himalaya Massive Ritual » est ma claque musicale de 2020 (en attendant la prochaine). L’intro à la bonbonne de gaz vous transporte directement au Népal avant qu’une avalanche de metal death/black vous submerge. Des riffs imposants épaulés par des sitars viennent vous enfoncer un peu jusqu’à un break stressant, où un chœur de voix secondé par une guitare angoissante vous fait frissonner l’échine. Toute cette partie centrale du morceau vous met instinctivement sur vos gardes. Vous savez que quelque chose arrive, sans pour autant pouvoir y être préparé, jusqu’à ce que le final dantesque vous chute dessus. Je me répète, mais la conclusion d’ « Himalaya Massive Ritual » est massive, brutale, écrasante. La voix de Laure Le Prunenec y est un peu utilisée à la manière du violon chez Ne Obliviscaris, instrument déchirant l’atmosphère pour la rendre plus anxiogène. Tout ça réuni ensemble vous termine les cervicales et le cerveau, incapables de supporter la charge. Enfin, la bonbonne de gaz vient terminer le morceau. Dans l’ensemble, ce morceau vous emporte loin, très loin de ce que vous connaissez.
Au final Igorrr rend ici une oeuvre qui, même si elle est plus accessible que ses précédentes, garde son empreinte si particulière. De par l’hétérogénéité des titres, vous basculerez d’aventure en aventure, de pays en pays, et vous trouverez forcément un pied-à-terre où vous vous plairez. Malgré une seconde partie que je trouve un peu plus faible, Spirituality and Distortion est un album de très bonne facture où Gautier Serre explore de nouvelles contrées pour un dépaysement complet. Malgré une heure de musique, impossible de vous ennuyer tant les ambiances changent d’une piste à l’autre. Bon voyage !