Aujourd’hui, nous profitons de ces temps de confinement où les sorties se font plus rares pour revenir sur un morceau qui aura 25 ans demain.
1995 est une année où beaucoup d’albums « fondateurs » sont sortis. Que ce soit Fear Factory, Death ou Rammstein, plusieurs groupes sortaient des albums définissant le son de sous-genres du metal. Et le 12 Mai 1995 les suédois de Meshuggah sortait Destroy Erase Improve, album pilier du metal moderne. Comment a-t-il acquis ce statut ? Par exemple en étant l’influence d’un des sous-genres les plus en vue de cette dernière décennie : le djent. Ou encore en ayant un de ses morceaux, « Sublevels », pouvant se targuer de définir le son du 1er album du groupe Textures, Polars, sorti 9 ans plus tard. Plus simplement, il suffit de voir le nombre de musiciens qui le citent en tant qu’influence pour s’en convaincre. Destroy Erase Improve mélangeait de multiples influences, se détachait de son prédécesseur Contradictions Collapse et posait les bases des compositions du groupe jusqu’à aujourd’hui. Et pour en parler, je vous propose ici son morceau emblématique, qui est un excellent résumé du disque : « Future Breed Machine »
Il faut dire que l’ouverture de Destroy Erase Improve frappe très fort. En 5:49 tout juste, le morceau visite au moins 5 ou 6 genres, explore des signatures rythmiques à faire partir en vrille des calculatrices, reste cohérent et vous brise la nuque plusieurs fois. « Future Breed Machine » commence une demi minute de bruit industriel avant de nous sortir de notre torpeur avec une guitare qui sonne comme un réveil. Le tout supporté par le reste du groupe avec un riff death. Le son des instruments est brut et même s’il est moins massif que ce que Meshuggah propose actuellement, la violence de la composition prend aux tripes. La sonnerie a tout juste le temps de s’arrêter que le quintet enchaîne avec un pont toujours indéchiffrable après un quart de siècle. Le couplet qui suit a quant à lui des accents thrash, qui étaient plus présents sur Contradictions Collapse. Jens Kidman déroule pendant ce temps un growl assez agressif. Le pré-refrain et le refrain ont un ton plus death, les guitaristes Fredrik Thordendal et Mårten Hagström venant épauler Jens au chant pendant ceux-ci. Ce premier tiers est un véritable rouleau-compresseur, les sections se suivant laisser le temps à votre tête de ne pas hocher.
Arrivés à la fin du second refrain, les suédois décident de tout changer pour poser une section jazz : guitare clean, signature rythmique atypique (du 13/8 si vous êtes curieux) et solo improvisé à la guitare avec une talk-box. Inutile de vous dire qu’à l’époque (et même aujourd’hui) ce type de rupture et ce genre ne sont pas monnaie courante dans le metal. Un petite transition et le quintet nous écrase avec un riff massif en revenant vers le death, Jens nous criant les paroles à la face. Un solo incompréhensible plus tard, « Future Breed Machine » nous enfonce encore plus avec un breakdown encore plus lourd.
A la fin, Meshuggah nous laisse 3 secondes. 3 secondes de répit avant de poursuivre sa mission visant à nous égarer et à déconstruire notre conception de la musique. Le groupe revient au pont indéchiffrable mentionné plus tôt, Tomas Haake redoublant de malice derrière les fûts pour rendre incompréhensible ce que l’on écoute. On ne sait qu’une seule chose en entendant ça : on se fait rouler dessus. Les scandinaves reviennent une dernière fois avec le refrain, joué à la double pédale afin d’enfoncer un dernier clou dans vos cervicales. Et il ne s’est même pas passé six minutes.
Les paroles, que je n’ai pas encore abordé, parlent de transhumanisme et des dérives pouvant en découler. Le nom de l’album se trouve dans les paroles, Destroy Erase Improve pouvant même faire référence à la structure de « Future Breed Machine » : le premier tiers déconstruit ce que vous connaissez, le partie jazz efface toute préconception musicale et la fin vous montre ce que Meshuggah a atteint. On aperçoit à travers les vers le nihilisme teinté d’anticipation que l’on retrouvera pendant la carrière des suédois.
Il y a (presque) 25 ans, Destroy Erase Improve posait les bases du djent qui ne verrait proprement le jour qu’entre 10 et 15 ans plus tard, à la manière d’un Black Sabbath avec le doom metal. « Future Breed Machine » synthétise l’essence de l’album, mais le reste explore ce que l’on entend pendant ce dixième d’heure. Le morceau est complexe, déroutant, mais extrêmement maîtrisé dans son approche. Les parties et influences, aussi diverses soient-elles, se suivent sans que l’écoulement de la piste soit brisé, des respirations étant placées intelligemment pour pouvoir reprendre ses esprits. Et bien sûr, le morceau est une démonstration technique avec ses polyrythmes, changements de mesure intempestifs et solos propre au retournement de cerveau. Tout ceci pour vous dire que Meshuggah était en avance sur son temps.
Même après 25 ans, « Future Breed Machine » garde une part d’insaisissable, ce qui le rend magistral à mes yeux. En guise de bonus, en voici une version live avec un montage aussi inexplicable que le titre :