Reprendre et rendre hommage à la décennie des années 80’s est devenu depuis quelques années une véritable mode, plus encore, un immense business, très attirant et surtout rentable. Mais toutes les démarches du genre ne sont pas à catégoriser comme une tentative pécuniairement intéressée de surfer sur une tendance afin de rencontrer le succès. Ces derniers mois, plusieurs artistes se sont servis de cette esthétique, avec des objectifs précis et différents. On peut notamment penser à Dua Lipa, qui s’en est servi pour y mêler un son Pop très actuel, dans le but de créer la “Nostalgie du futur” (Future Nostalgia), ou encore à The Weeknd (After Hours), qui a inséré des influences Retrowave dans sa musique populaire subtilement écrite pour utiliser le travail inhérent aux textures de claviers de ce mouvement. Mais il demeure bien un autre artiste, qu’il y a à peine quelques semaines, à sorti une sincère lettre d’amour et de respect au Soft Rock du début de la fin du siècle précédent. Ce dernier s’avère être John Mayer, et cette missive amoureuse est constituée par son huitième et dernier album en date : Sob Rock.
Cette volonté d’éprouver toute une révérence aux eighties est complètement assumée et revendiquée. Il suffit de voir la promotion de Sob Rock pour en attester. Le style visuel est un calque, sobre et simple, de cette période. Que ce soit de par les spots publicitaires, affiches ou photos, ou alors même par la pochette de ce huitième disque. Tout transpire la décennie de la New Wave, de Rock de stade et du règne de Toto dans les charts. Évidemment, musicalement, cette patte se fait aussi énormément ressentir, c’est même la première chose qui est mise en avant. Juste avant était évoqué un groupe américain, auteur de classiques radiophoniques comme “Africa” ou encore “Rosanna”. Et bien cet héritage que la bande à Steve Lukather est parvenu à créer se retrouve d’une manière tout bonnement clairvoyante dans “Last Train Home”, le titre introductif du sujet d’aujourd’hui.
Le premier et plus gros single de ce huitième disque montre une facette terriblement efficace, concise et très dansante du producteur. Ce que le musicien du Connecticut a déjà su faire est parfaitement reproduit, une idée ,une progression d’accords simple, mais entêtante, formant une boucle dont on ne se lasse pas. Le tout est de parvenir à étendre cela à toute la durée du disque, ce qui est loin d’être une chose aisée. De par ce point de départ, les fans de la première heure seront certainement déçus de ne pas retrouver constater le retour de morceaux à la “Neon” ou à la “Slow Dancing in a Burning Room”, mais après tout, cela n’est guère étonnant. L’une des caractéristique de la carrière de John Mayer est son éclectisme, son envie de chercher de nouvelles sonorités, de surprendre par des choix stylistiques forts. Pop Rock technique et démonstrative (Room for Squares, Heavier Things), l’une, si ce n’est LA pièce de Blues moderne la plus remarquable et remarquée de ces trente dernières années (Continuum), de la Country (Paradise Valley), de la Pop aux airs de Jazz (The Search of Everything) jusqu’au Soft Rock. Le diplômé de Berkeley aura presque tout fait au sein de sa discographie. Ce virage est alors loin d’être étonnant, et son très important bagage en tant que compositeur et producteur rend cette adaptation facile, presque évidente pour lui.
L’une des très grandes forces de celui qui est considéré comme l’un des plus grands maîtres du manche moderne est, et à toujours été, sa gestion du rythme au sein de ses albums. Sob Rock ne déroge pas à la règle, bien au contraire. Entre des morceaux énergiques, très colorés et riches, on retrouve des ballades acoustiques, bien plus simples. L’un des faits d’arme de John Mayer, à savoir un talent tout particulier pour la composition de pistes pouvant être interprété seul, accompagné de l’un de ses nombreux modèles de guitare acoustique, est ici mis à l’œuvre. Cependant, l’une des remarques que l’on peut émettre à leur égard est le changement de registre de ces derniers. Guère besoin d’attendre des morceaux marqués par la brillante technique de jeu au doigt du protagoniste principal du John Mayer Trio (complété par Pino Palladino et Steve Jordan). Ici, les morceaux du dit registre se contentent d’une construction basique, de progressions d’accords plaqués joués au médiator. On ne retrouve pas ce style percussif, très entraînant et surtout impressionnant et efficace qui constitue pourtant l’une des spécialités les plus connues et appréciées du guitariste.
Mais ce choix est fait principalement du fait de l’esthétique et du parti pris adopté par le producteur de Bridgeport. Le Soft Rock américain des années 80’s ne brillait pas grâce à sa technique ou encore sa démonstrativité, mais bien par son ambiance, sa facilité d’accès. Ce facteur explique donc, et légitime même les arrangements sobres opérés sur Sob Rock. Partir sur une musique théoriquement et techniquement complexe et impressionnante n’aurait pas eu de sens, surtout pour un album comme celui-là. Dans un sens, décider de suivre à ce point cette direction peut être perçu comme une maturité florissante depuis déjà quelques années de la part du musicien.
L’hommage à Toto évoqué auparavant n’est pas isolé et s’étend même à d’autres artistes, tout aussi influents et aujourd’hui profondément ancrés dans la culture populaire. On peut notamment penser au morceau “Wild Blue” qui rappelle Dire Straits et le jeu si particulier et reconnaissable entre mille du fameux guitariste virtuose Mark Knopfler. On peut également prendre comme exemple la piste de clôture “All I Want Is to Be With You” qui pourrait figurer dans un album de Bruce Springsteen sans paraître comme un potentiel intru. Mais cette volonté de tirer révérence ne se transforme pas en une pâle copie sans intérêt ni goût, bien au contraire. À travers tout l’album, on ressent bien la patte de John Mayer notamment à travers les progressions d’accords, souvent riches malgré leur bluffante accessibilité. Cependant, on ne retrouve pas la signature du diplômé de Berkeley sur les soli de Sob Rock. Ces derniers sont souvent très simples, sans franchement beaucoup d’enrichissements malgré leur mélodicité très prenante. Le solo de “New Light” en est une parfaite illustration. Certes ce dernier est très harmonieux, beau et totalement raccord avec le morceau, mais on sent que le guitariste a souhaité simplifier au maximum son propos. L’idée n’est pas de critiquer cette direction, loin de là, mais l’on sent une transition très brute comparée à son dernier projet longue-durée en date : The Search of Everything.
Un autre léger défaut que l’on peut pointer du doigt est une certaine baisse de régime dans le dernier quart du disque. Il faut que ce dernier commence fort, très fort même. Démarrer par “Last Train Home”, le single de ce huitième album fait en sorte de directement nous faire pénétrer en terrain connu pour ensuite nous laisser une plus ample découverte même si certains titres comme “New Light” sont déjà appréciés depuis quelques mois par les fans. Seulement, après “Wild Blue”, on sent comme une sorte de ventre mou s’installer, comme si tous les meilleurs morceaux avaient été placés au début, pour ensuite laisser place à des propositions moins fortes. Malgré tout, la gestion du rythme évoquée plus haut n’est pas à remettre en question. Ici les variances d’ambiances sont gérées avec une main de maître, tout s’enchaîne. Cependant, la première partie peut s’avérer plus marquante que sa seconde moitié.
Vous l’aurez certainement compris, à travers Sob Rock, John Mayer ne réussit pas un sans faute, mais parvient tout de même à offrir un album à la hauteur des ambitions placées en lui. Étant simple d’accès de par sa simplicité mais aussi par sa courte durée (trente-huit minutes au total), celui qui s’est progressivement hissé dans les noms les plus importants de l’industrie musicale américaine en ce qui concerne la musique au sens strict signe une pièce d’excellente facture. Le tout est enrobé d’une certaine dose de nostalgie, qui aura un certain don de plaire à beaucoup de mélomanes, friands de ces ambiances sonores toutes droits tirées d’une période que les moins de trente deux ans ne peuvent se rappeler. Tirant en plus de ça, une révérence très soignée et pleine d’amour et de respect à ces artistes qui aujourd’hui, sont devenus de véritables légendes.