Il y a certains groupes qui, malgré des projets moins couronnés de succès, ou simplement présentés comme dans une forme créative sur le déclin, parviennent à conserver un impact et une aura singulière. C’est le cas de Muse.
Depuis maintenant plusieurs années, le trio britannique est présenté comme étant en régression, tant bien créative que critique. Malgré cette réputation naissante, Matthew Bellamy et ses compères parviennent toujours lors de l’annonce d’un projet à captiver l’attention et créer l’attente. C’est en annonçant Will Of The People, neuvième album des anglais, que ces derniers se sont illustrés dans cette position. Nous parvenant après un Simulation Theory décevant, il est l’heure pour les trois musiciens de Teignmouth de remettre les pendules -ou du moins tenter- avec un son annoncé comme étant plus orienté vers le Rock et le Metal.
Lors du démarrage du processus créatif entourant ce neuvième album, notre monde se trouvait dans un contexte social et politique on ne peut plus particulier et complexe. Ce travail a pris forme alors que le Capitole venait de subir un assaut citoyen qui allait profondément marquer les américains et que les trois musiciens ont vécus de l’intérieur. C’est cette atmosphère qui va imprégner les travaux composés durant les mois suivant ces événements. De cette ingestion est née Will Of The People, représentant à merveille l’état d’esprit du milieu social dans lequel se trouvait Muse et de sa philosophie : redonner la parole et le pouvoir au peuple. C’est ainsi que le trio anglais échafaudera un hymne contestataire collant à ce discours.
Musicalement, cela se traduit par la présence de sonorités orientées vers les registres du Rock et du Metal, avec notamment des sections appuyant sur une production cherchant à caractériser une certaine lourdeur, une certaine pression. C’est d’ailleurs ce que le premier single de ce neuvième album, We Won’t Stand Down, mettait en exergue un son nous ramenant au Metalcore. Cette sortie, aussi surprenante qu’inattendue, avait eu le don d’étonner mais aussi d’annoncer une direction artistique jamais parue au sein de la discographie de Muse. Finalement, cette ligne directrice inédite pour le trio anglais ne concerne pas la totalité de Will Of The People. Ce nouveau disque rassemble des sonorités déjà parues dans les précédents travaux des anglais, constituant dès lors une sorte de manifeste des différentes identités mélodiques du groupe.
Pour illustrer ce nouveau recueil, Muse a décidé d’opter pour une imagerie dépeignant un monde post-apocalyptique hostile et dangereux. Ce dernier se dévoile avec notamment la présence de personnages aux masques faits de formes géométriques et ressemblant à des miroirs quelque peu semblables visuellement au rival du détective Vidocq à la patte plus moderne. On peut évidemment imaginer ces derniers comme étant les antagonistes de cet univers inhospitalier avec les membres du groupe comme leur principale menace. Will Of The People édifie alors une sorte de bande-originale d’une version de notre société ayant cédé au totalitarisme et n’ayant pas su faire face à l’urgence climatique à laquelle nous nous confrontons.
Le morceau de clôture de ce neuvième album, We Are Fucking Fucked, donne d’ailleurs de manière très directe et brutale le constat de la situation exposée. La volonté du trio à travers ce neuvième est d’exprimer un message et des opinions de manière franche et directe. On peut le voir dans le second morceau du projet, « Compliance », mettant en lumière la toxicité des institutions comme les sectes religieuses qui préfèrent inhaler toute forme de pensée critique. On retrouve alors une énergie similaire à The Resistance, mettant en exergue une volonté de s’ériger contre des organisations contrôlant notre société et son fonctionnement. L’autre piste illustrant parfaitement ce combat demeure dans le premier single de Will Of The People et au demeurant sans doute le meilleur morceau du disque : We Won’t Stand Down. Ces maux d’urgence sociale sont cristallisés par la septième piste Kill Or Be Killed, dégageant une forme d’obligation d’agir, de reprendre le dessus avant d’être dépassé et englouti par un adversaire éminemment plus puissant.
Nonobstant, le trio mené par Matthew Bellamy n’aborde pas ici que des questions liées à une volonté de se dresser contre notre monde. Le morceau Ghosts (How Can I Move On) par exemple, est lui dédié à toutes les personnes ayant tragiquement perdu leur partenaire durant la pandémie de la Covid-19. L’autre piste traitant de ce qui est progressivement devenue une endémie mondiale suit celui évoqué à l’instant : You Make Me Feel Like It’s Halloween. Ce dernier se penche sur les nombreux cas de violences domestiques perpétrés durant les nombreuses périodes de confinement effective partout dans le monde. On sent la sincère volonté de transmettre toute la tragédie provoquée par le virus qui est parvenu à mettre les quatre coins du monde à l’arrêt complet.
Au-delà de vouloir dégager cette idée d’urgence et de danger imminent, Muse ne nous propose pas qu’un album plein de colère et d’impératifs. Les anglais ont également à nous proposer ici une fin de disque plus lumineuse avec la piste Euphoria, mais surtout, l’avant-dernier morceau de Will Of The People : Verona. Ce dernier marque une symbolique toute particulière tirant toute son inspiration de la littérature britannique et du théâtre élisabéthain. Effectivement, le titre tirant son intitulé de la ville italienne du même nom, endroit dans lequel prennent place les événements du récit tragique Roméo & Juliette du grand William Shakespeare. On peut par ailleurs déceler plusieurs clins d’œil au classique du seizième siècle avec notamment les premiers mots prononcés par Matthew Bellamy, nous renvoyant au dénouement de l’histoire : “Can we kiss with poison on our lips”. On peut dès lors relever un véritable romantisme dans les paroles du frontman qui tente à travers cette même maxime de délivrer un message d’espoir, pouvant être perçu comme une bulle d’air dans toute la noirceur dépeinte jusqu’ici.
Musicalement, Muse ne puise plus dans ses racines depuis déjà longtemps. Et les (nombreux) fans désireux de retrouver leur amour de jeunesse ne seront sans doute pas comblés, et ne risquent pas de l’être d’aussitôt. Malgré cela, le trio anglais perpétue son évolution en tentant de rester tant bien que mal fidèle à ses origines. Will Of The People offre tout d’abord une pièce bien mieux maîtrisée que son prédécesseur Simulation Theory tant dans l’esthétique sonore que visuelle. C’est par ailleurs un album qui, sans être une chef d’œuvre, réhausse le niveau perçu auparavant et offre un discours omniprésent depuis plusieurs années. Mélodiquement, le groupe se donne le luxe de revisiter un bon nombre de textures sonores déjà explorées au sein de leur immense discographie. Comme à son habitude, Matthew Bellamy et ses deux compères, Christopher Wolstenholme et Dominic Howard constituent à travers ce neuvième album un recueil marqué par une patte précise et taillée pour les stades. Voilà donc de quoi étoffer les setlists de l’actuelle tournée des britanniques, et une occasion parfaite de faire vivre ce nouveau matériel à faire vivre en live devant un public qui ne demandait qu’un tel sursaut d’orgueil.